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immensité de ses llanos. En outre sa population se compose en très grande partie d’hommes de couleur ; c’est peut-être à cette race, si ardente en toutes choses, si facile à émouvoir et à passionner, que le Venezuela doit ses meilleurs poètes. Parmi ses écrivains d’origine espagnole, deux ont contribué pour une forte part à la gloire littéraire de la mère-patrie : ce sont Baralt et Firmin Toro.

Le Mexique et le Pérou, ces deux états qu’on ne peut s’empêcher d’associer à cause du développement parallèle de leur ancienne histoire et de la commune destinée que leur fit la conquête, présentent aussi de grandes analogies dans leur littérature. De tout temps la société y fut plus mêlée que dans les autres parties de l’Amérique par suite de l’attraction qu’exerçaient les mines et du caractère aléatoire qu’elles imprimaient au commerce. Les brusques reviremens de fortune s’y opèrent plus fréquemment qu’ailleurs ; les types y sont plus nombreux ; les tribus indiennes, arrivées à divers degrés de développement, n’ont cessé de s’y trouver depuis trois siècles en contact immédiat avec les blancs du pays. En outre Lima et Mexico, qui étaient autrefois les principaux centres de la puissance coloniale de l’Espagne dans le Nouveau-Monde, ont conservé jusqu’à présent quelque chose de l’esprit léger et satirique des cours. La moralité y est probablement moindre que dans le reste de la Colombie, mais l’esprit d’observation y est peut-être plus aiguisé. Les auteurs péruviens et mexicains savent écrire des pièces légères ; ils racontent agréablement les scènes de mœurs et manient le ridicule avec talent. Dans un ordre plus élevé, plusieurs d’entre eux se sont essayés à la comédie et au drame.

Les autres républiques colombiennes, le Guatemala, l’Equateur, la Bolivie, le Paraguay, ont aussi leur littérature propre ; mais soit à cause de leur isolement relatif, soit à cause de l’ignorance, dans laquelle leurs-populations sont maintenues par des prêtres intolérans, ces diverses contrées ne brillent pas du même éclat littéraire que leurs sœurs du Nouveau-Monde. Leurs écrivains sont aussi moins connus que les poètes de l’île de Cuba. Bien que cette « perle des Antilles » appartienne encore à l’Espagne, et que par ses institutions, et surtout par le maintien de l’esclavage des noirs, elle diffère complètement des républiques hispano-américaines, cependant sa littérature se rattache bien plus à celle du Nouveau-Monde qu’à celle de la mère-patrie. En-effet, les poètes cubanais ne peuvent chanter ni l’histoire passée de leur pays, ni la triste société de maîtres et d’esclaves qui les entouré. Il faut qu’ils échappent à ce milieu fatal pour chercher leur inspiration dans le sentiment de la liberté et dans l’espoir de leur indépendance future, ou bien, si la poésie révolutionnaire les effraie, il ne leur reste qu’à célébrer cette