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dans un éternel circuit. Rien de grand ne s’accomplit sur un point de la planète sans que tous les hommes en profitent aussitôt.

Déjà, nous l’avons vu, on ne peut sans injustice accuser les républiques colombiennes d’être inutiles à l’œuvre civilisatrice, car elles ne cessent de produire des hommes de talent qui s’occupent sans relâche d’accroître la somme des connaissances humaines. Les esprits travaillent beaucoup dans les sociétés espagnoles de l’Amérique du Sud. Doués d’une vive intelligence, grâce au croisement des races et à l’influence du climat, les Colombiens s’instruisent avec une surprenante rapidité. À l’étude de leur histoire et de leur littérature ils ajoutent celle de l’histoire et des littératures étrangères. Parmi eux, tout homme qui s’élève au-dessus du niveau commun par son instruction est tenu de connaître les principales langues de l’Europe. Les problèmes politiques ou sociaux qui s’agitent dans l’ancien monde sont aussitôt le sujet de discussions ardentes en Amérique ; chaque idée qui s’énonce en-deçà de l’Atlantique est immédiatement accueillie au-delà. Le grand danger des Hispano-Américains, c’est précisément d’avoir une si remarquable promptitude d’intelligence. Comprenant trop vite, effleurant les sujets sans se donner la peine de les approfondir, un grand nombre d’entre eux restent superficiels en dépit de leur talent, ils gaspillent leur force dans une multitude de travaux d’un jour au lieu de les concentrer dans une œuvre durable ; mais ceux qui, à l’exemple de Bolivar, deviennent les hommes d’une idée, et dirigent obstinément leurs efforts vers un même but peuvent accomplir de grandes choses. En tout cas, ils doivent éviter avec soin toute vaine imitation ; puisque les peuples d’Europe leur semblent vieillis, qu’ils cherchent en eux-mêmes la jeunesse et la force.

Pour juger équitablement les peuples de l’Amérique méridionale, il faut avant tout faire remonter à qui de droit la responsabilité de l’état social dans lequel ils se trouvent. Ce n’est point en peu d’années que des masses confuses se transforment en nations respectables. Lorsque l’oppression a cessé en apparence, elle se continue et se renouvelle sous mille formes à l’aide de la lâcheté, de l’envie et de toutes les passions basses qu’elle avait développées ; les âmes sont encore esclaves quand les corps sont depuis longtemps dégagés de l’étreinte. On peut le dire, le régime colonial n’est pas entièrement détruit ; il se perpétue en certains endroits par l’intolérance religieuse, ailleurs par la dictature politique, ailleurs encore par le servage des peones, par la dîme ou le monopole des denrées ; il se perpétue surtout par les superstitions et l’ignorance : de là ces crises continuelles, ces révolutions et contre-révolutions, qui ont pour triste résultat d’habituer le peuple à la vue du sang. L’Espagne elle-même, après avoir été débarrassée, au commencement