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les appuyant de preuves irréfutables. Il n’y a point de grande découverte que le génie spéculatif n’ait devinée a priori, mais, comme saint Thomas, les multitudes ne croient que ce qu’on leur fait toucher du doigt. Les idées qui semblent le plus simples, le plus naturelles, qui paraissent devoir s’imposer à la pensée, n’ont pénétré que très lentement dans la conscience de l’humanité. La métaphysique par exemple considère l’indestructibilité de la matière et le principe d’inertie comme des axiomes, comme des vérités absolues ; mais ces idées n’ont pas toujours trouvé créance, elles ne sont devenues familières aux esprits qu’à la faveur des preuves amassées par l’observation. Les Grecs, loin de comprendre qu’un corps ne peut pas changer le mouvement qui lui est imprimé, croyaient que les corps en mouvement ont une tendance inhérente et graduelle à retourner au repos, et cette notion erronée a été admise jusqu’au temps de Galilée. Les phénomènes astronomiques ont les premiers fait soupçonner à l’homme que les masses ne peuvent accélérer ou ralentir leur vitesse : ils ont révélé l’ordre harmonieux de l’univers ; mais aujourd’hui encore dans combien d’esprits incultes et sans discipline ne trouverait-on pas l’ignorance la plus profonde de la loi primordiale de la mécanique avec je ne sais quelle tendance à substituer aux nécessités d’une loi ces activités spontanées et capricieuses dont l’imagination des anciens remplissait si complaisamment le monde ! L’indestructibilité de la matière ne pouvait être démontrée avant que la chimie fût capable de suivre les atomes dans toutes leurs transformations. L’ignorant qui voit un corps se consumer dans le feu peut croire que quelque chose est anéanti dans la combustion ; il n’aperçoit pas, il ne pèse pas tous les gaz, toutes les vapeurs qui se forment pendant ce phénomène, il ignore qu’il n’y a pas un atome du combustible qu’on ne puisse retrouver dans les produits nouveaux que la chimie soumet à ses analyses.

Le principe de la persistance de la force n’a pris que récemment place parmi ces vérités fondamentales que la métaphysique voit confirmées par la science. Depuis longtemps deviné par les métaphysiciens, il n’y a pas bien longtemps en effet qu’il a reçu la consécration de l’expérience. Il y a quelques années, on croyait encore que dans tous les phénomènes de friction, dans tous les chocs, une certaine quantité de force était perdue, disparaissait sans retour : on ne savait pas qu’un mouvement visible peut se transformer en mouvement invisible, que la force vive qui s’anéantit en apparence dans le choc se retrouve disséminée dans les atomes à l’état de chaleur, d’électricité, d’affinités chimiques. L’idée de la transformation mutuelle des forces naturelles est une idée toute moderne, avec laquelle bien peu d’esprits sont encore familiers : les travaux si féconds