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et, bien que l’on soit encore loin d’en avoir tiré toutes les conséquences, on aperçoit mieux qu’autrefois l’unité fondamentale de la nature. En appliquant cette grande notion à l’ensemble des phénomènes dont le monde est le théâtre, M. Spencer assujettit l’histoire entière de la création à une loi qu’il nomme la loi d’évolution. Il s’applique à en montrer les développemens dans tous les ordres de phénomènes ; mais nous ne le suivrons pas dans cette partie de son livre. Il est à craindre que M. Spencer ne se soit fait illusion en donnant la valeur d’une loi naturelle à ce qui n’est après tout que le simple énoncé d’un fait. Les choses se développent au gré de lois permanentes et éternelles ; mais ce développement même peut-il être qualifié de loi ? La force immanente dans la nature y produit sans cesse de nouveaux mouvemens, mais la simple succession de ces mouvemens ne nous apprend rien sur les rapports qui les attachent les uns aux autres. L’évolution ne produit même pas toujours des effets comparables, et s’opère tantôt dans un sens, tantôt dans un sens contraire. En envisageant dans l’ensemble l’histoire de notre tourbillon solaire, nous constatons un passage graduel de l’homogénéité à l’hétérogénéité ; mais dans d’autres tourbillons il se fait peut-être un retour de l’hétérogénéité à l’homogénéité. La vie et la mort sont deux termes corrélatifs et inséparables, comme le simple et le composé. La force qui se joue dans l’univers entraîne une portion détachée de la substance dans une direction donnée pendant une période qui pour l’homme équivaut presque à l’éternité, puis la ramène sans doute avec une égale lenteur dans des directions opposées. On ne conçoit point une action sans une réaction égale : le monde est un remous perpétuel. On n’a pas découvert une loi quand on a dit qu’elle existe ; il faut encore en trouver la formule. Il ne suffirait pas d’affirmer qu’il y a un certain rapport entre la force attractive des corps, leur masse et leur distance : je veux savoir quel est ce rapport ; il faut qu’on me démontre que l’attraction est en raison directe des masses et en raison inverse du carré des distances. De même on n’a pas assez fait quand on a déclaré que l’ordre des phénomènes est une évolution réglée, sans commencement ni fin : ce que nous sommes impatiens de savoir, c’est précisément quelle est cette règle.

Disons-le cependant, lors même que la loi du développement universel devrait toujours nous échapper, l’idée seule de ce développement est une idée féconde qui soutient la critique et la science, qui leur donne un point d’appui, un point de vue général, au milieu des mystères dont elles sont entourées. Tous ceux qui sont familiers avec les découvertes et les caractères généraux des sciences modernes y trouvent les linéamens d’une science supérieure qui