Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/969

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et qui, par le grand froid déjà tout engourdi,
Allait aux noirs vautours livrer son corps raidi.
Soudain ton cœur s’émut en face de cet être,
Et tu ne voulus point du sentier disparaître
Sans ravir au trépas ce frère défaillant.
De la main et du cri vite le réveillant,
Tu le remis sur pied, tu lui rendis courage,
Et pour mieux regagner les toits de son village
Tu prêtas à ses reins le secours de ton bras.
Or, comme vous marchiez, au-devant de vos pas,
Voilà qu’il accourut des enfans, une femme,
Qui, les yeux inquiets et la terreur dans l’âme,
Frappant l’écho plaintif d’un cri désespéré,
Depuis longtemps cherchaient le pauvre homme égaré.
En vous voyant, surtout toi soutenant leur père,
Ils comprirent bientôt que ton bras tutélaire
En était le sauveur, et tous ces gémissans
Inondèrent tes mains de pleurs reconnaissans.
Quel moment ! Tu l’as dit : d’une beauté divine
Il t’éclaira les cieux. Le sang dans ta poitrine
Courut plus chaudement, et ton souffle plus pur,
Plus rapide, plus plein, s’élança vers l’azur.
Nul souci ne pesait sur ta face ravie ;
Comme l’acier dans l’onde, il semblait que ta vie
Fut toute retrempée et bonne à l’action ;
Le monde n’était plus une œuvre sans raison.
Ame et corps, ta nature avait son équilibre,
Tu te sentais plus fort, tu te sentais plus libre,
Tu fus heureux enfin tout le reste du jour :
Tu venais comme Dieu de vivre dans l’amour.

AUGUSTE BARBIER.

Fontainebleau 1863.

LA BRANCHE MORTE.


Le ciel était voilé de longs nuages gris,
Un vent froid coupait l’air, et des champs défleuris
Les étés avaient fui vers un plus doux rivage.
C’était l’automne, non l’automne au front paré
Des verdures du pampre et du raisin doré,
Mais l’automne pâlie au terme du voyage.

Une teinte rougeâtre enveloppait les bois,
L’herbe des sentiers verts était sombre, et la voix
Des oiseaux se taisait aux cimes des feuillées ;
Nul bruit dans la forêt excepté le bruit sourd