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Des vents qui, des grands fûts berçant le dôme lourd,
Faisaient voler dans l’air mille feuilles rouillées.

Assis au pied d’un hêtre et seul, au sifflement
De l’air froid je prêtais l’oreille, et tristement
Contemplais le déclin des choses de nature,
Lorsqu’un craquement sec dans l’arbre épais et haut
Retentit, et je vis à mes pieds aussitôt
Tomber en tournoyant un débris de ramure.

Ce fragment, détaché du faîte gémissant,
Avait fini de vivre, et flétri, jaunissant,
Allait se perdre au sein d’une aride poussière,
Et pourtant au milieu de ses sœurs couleur d’or
Une feuille encor verte et toute fraîche encor
Brillait comme aux beaux jours de la fleur printanière.

Son apparition splendide m’attendrit,
Et soudain m’arriva la pensée à l’esprit
Que, dans sa survivance au reste du feuillage,
Cette fraîcheur était comme un rêve d’été,
Un heureux souvenir épanchant sa gaîté
À travers les brouillards et les glaces de l’âge.

Alors, moi-même alors, je revis mes vingt ans
Avec tous leurs plaisirs, leurs espoirs éclatans,
Leurs secrètes amours, leurs amitiés sans voiles,
Et de ces souvenirs qui ravivaient mon cœur,
Quelques-uns surpassaient les autres en douceur
Comme la blanche lune efface les étoiles.

Sur ceux-là bien longtemps s’attacha le regard
De mon âme ; longtemps les contemplant à part
Comme un bouquet de fleurs aux grappes embaumantes,
Des touffes de lilas qu’un pauvre voyageur
Trouverait au désert, longtemps avec bonheur
J’en savourai la grâce et les odeurs charmantes…

O divine Mnémé, de l’âme auguste enfant !
Les Grecs eurent pour toi, dans leur âge brillant,
Une adoration profondément pieuse :
Leur pensée honorait sous ton aimable nom
La mère des neufs sœurs compagnes d’Apollon,
Et du grand Jupiter l’éternelle amoureuse.

Et moi, comme eux je t’aime et t’honore comme eux,
Car seule, de ce monde obscur, tumultueux,