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Inconstant, fugitif, tu retiens quelque chose ;
Tu sèmes de plaisirs notre course ici-bas,
Et de nouveaux bonheurs par-delà le trépas
Tu dois fleurir encor notre métamorphose.

Oui, quand la Parque sombre, avec son fer divin
De notre vie aura coupé le fil de lin
Et dans les airs laissé partir l’âme légère,
Si, comme une fumée aux champs de l’infini,
Notre esprit ne s’est point soudain évanoui,
Ce que je ne puis croire et nullement n’espère,

En lui le souvenir renaîtra plus fervent,
Plus profond qu’il n’était lorsque le corps vivant
Le tenait à l’étroit dans sa prison massive ;
Son regard aura plus de portée et d’ampleur,
Et jusqu’aux moindres faits cachés au fond du cœur,
Tout réapparaîtra d’une façon plus vive.

Alors si, par l’effet d’instincts supérieurs,
Nulle infâme action, nuls pensers corrupteurs
N’ont terni son essence en traversant la terre,
Ou si des actes vils les fantômes ombreux,
Se fondant au brasier des remords douloureux,
Ont laissé revenir sa pureté première,

Alors il reverra, dans leurs rayonnemens
Et leurs suavités, les rapides momens
Où l’union des cœurs doubla son existence ;
Il reverra les traits, les formes de tous ceux
Que sur terre il aima d’un amour sérieux,
Car l’amour vainc la mort et la passe en puissance.

O bonheur ineffable ! ô nobles cœurs éteints,
Vous, vers qui des aimans subtils et clandestins
Nous avaient entraînés dans le torrent de l’être,
Vous n’aurez pas touché vainement à nos jours
Et tenu place en nous pour, loin de nous toujours,
Au gouffre du néant plonger et disparaître.

Qu’importe, doux amis, même après le trépas,
Que votre esprit semblable au nôtre ne soit pas !
Qu’il monte plus léger ou demeure en arrière !
Qu’importe que, moins purs ou que plus avancés,
Ainsi que ramiers blancs l’un à l’autre enlacés,
Nous ne puissions voler ensemble à la lumière !