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accessible, du côté de La Canée, que par ce redoutable défilé de Carpi, où il est si facile d’arrêter l’envahisseur dès ses premiers pas. Je ne connais point de pays de montagne que la nature ait pour ainsi dire plus soigneusement fortifié, qu’elle ait mieux préparé pour servir d’abri à l’indépendance farouche et aux longues résistances d’une race vaincue et d’une religion persécutée.

Le reste de la province de La Canée ne présente rien d’aussi remarquable que cette gigantesque citadelle avec ses murs prodigieux, avec ses portes étroites, que la neige et les torrens suffisent à fermer pendant la plus grande partie de l’année. Une presqu’île montueuse, l’Acrotiri, l’ancien cap Kyamon, sépare le golfe de La Canée de la baie de La Sude, qui, dans ses eaux profondes et abritées contre tous les vents, pourrait contenir toutes les flottes du monde. Il suffirait de remplacer par des ouvrages mieux construits et bien armés le château vénitien que contient l’île de La Sude, située à l’entrée de la baie, pour faire ici le plus beau port militaire qu’on puisse rêver. L’Acrotiri est maintenant en grande partie désert et ne produit plus guère que des oliviers ; ces arbres, qui appartiennent pour la plupart aux grands couvens de Saint-Jean et de la Sainte-Trinité, sont petits et sans apparence, mais ils donnent l’huile la plus douce et la plus légère qui se fasse dans l’île. Le miel de l’Acrotiri passe aussi pour le meilleur que l’on puisse trouver dans toute la Crète. Il paraît que sous les Vénitiens, dont on voit partout les manoirs ruinés, tout le plateau était cultivé et portait d’admirables récoltes.

Au golfe de La Sude commencent les belles campagnes d’Apocorona, district compris entre les Monts-Blancs, les prolongemens qu’ils envoient à l’Acrotiri et la rivière de Murzulla, l’ancien Messapos, qui forme la frontière orientale de la province de La Canée. Ce n’est pas une plaine que le territoire d’Apocorona ; ce sont de larges pentes, avec des collines qui paraîtraient hautes, avec des vallées qui paraîtraient profondes, si au-dessus ne s’élevait la masse énorme des Monts-Blancs. Le sol est presque partout cultivé ; de nombreux villages blanchissent parmi les oliviers. Ce canton renferme des ruines intéressantes, celles surtout de deux cités qui comptaient autrefois parmi les plus célèbres de la Crète, Aptera et Lampe. Aptera, située sur un plateau d’un accès difficile, qui porte maintenant le nom de Palseokastro, dominait la baie de La Sude, sur laquelle elle avait son port, Kissamos. Une partie de son enceinte subsiste encore, construite ici en blocs polygonaux, là en belles assises régulières qui rappellent les murs de Messène ; mais ce qu’Altéra nous a laissé de plus curieux, ce sont ses nombreuses et vastes citernes voûtées : l’une surtout, qui a trois rangs d’arcades, paraît vraiment belle après même que l’on a vu les immenses citernes de