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la vigueur de son intelligence la lui rendirent bientôt familière. Habitué à généraliser les faits, à dégager la vérité des détails qui l’obscurcissent, il porta l’ordre et la conciliation dans une branche administrative où le culte aveugle de la tradition avait entretenu jusqu’alors des habitudes tracassières, un odieux esprit de chicane et de malveillance. Aussi, de tous les choix que lord Liverpool avait faits dans le cours de sa longue carrière ministérielle, celui de James Elliot fut le plus généralement approuvé. Le ministre lui-même disait volontiers, posant la main sur l’épaule de son ancien camarade : — Voilà mon homme, messieurs !… Voilà ceux dont j’aime à faire la fortune !… — Absorbé néanmoins par les fonctions qu’il remplissait avec tant de succès, James Elliot n’eut pas le loisir, pendant les cinq premières années, de songer à prendre femme. Au bout de ce temps, il épousa miss Beverley, une personne de trente et un ans, pareille à lui et digne de lui, qui lui donna, le jour même où il atteignait sa quarante-neuvième année, un superbe petit garçon. C’est celui-ci, Austin Elliot, et la fille de George Hilton, Eleanor, qui désormais nous occuperont en première ligne.


II

Austin n’avait pas dix ans que son père, toujours préoccupé de politique, le voua secrètement à la carrière dont sa médiocre fortune l’avait écarté bien malgré lui. Doué d’une intelligence précoce, cet enfant recevrait l’éducation qui fait les hommes d’état. Et, qui sait ? élevé par un tel père, objet de tant de soins et de soins si bien entendus, peut-être deviendrait-il un jour, comme George Canning… Ici, confus lui-même de ses visées chimériques, James Elliot se refusait à compléter sa pensée ; mais elle restait inscrite, et tout entière, dans le radieux sourire avec lequel il contemplait ensuite les charbons incandescens du foyer. Vers cette époque, mistress Elliot venant à mourir, l’enfant demeura plus strictement sous le contrôle paternel et n’entendit plus parler que politique. Pas un grand débat dont il ne fût appelé à suivre les péripéties, et quand Robert Peel, au sujet de l’émancipation des catholiques, rompit tout à coup avec les traditions de son parti, le jeune Austin, qui l’entendit accabler de toutes les malédictions dues aux renégats, se le figura provisoirement comme une espèce de Guy-Fawkes, bon à brûler en place publique. Dans l’intervalle des leçons que lui donnait son père, l’enfant passait la plus grande partie de son existence avec Eleanor et Robert Hilton, chez lesquels on l’envoyait jouer, car depuis la mort de lord Liverpool, l’intimité de ces deux anciens compagnons d’étude, — refroidie pendant plusieurs années par la