Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mer, et la bouche du filet, tenue ouverte au moyen d’un ingénieux mécanisme, engloutit tout ce qui se rencontre sur son passage. On a dans ces derniers temps accusé un tel système d’avoir appauvri les mers, qu’il dépeuple trop rapidement. Les pêcheurs de Brixham eux-mêmes en conviennent dans leur langage naïf : — le poisson, disent-ils, n’est point content d’eux. — Si le trawl a suscité des détracteurs, il a trouvé aussi des avocats. Il n’est point très prouvé, comme on l’avait cru d’abord, qu’en balayant la profondeur des eaux, cet appareil détruise le frai ; l’instinct des poissons les pousse à déposer leur semence sur les rochers sous-marins et non sur le sable ; or les pêcheurs se gardent bien d’aventurer dans les fonds rocailleux leurs filets, qui seraient inévitablement mis en pièces. Le reproche le plus sérieux qu’on puisse faire au trawl est de dévorer, comme le requin, avec une gloutonnerie aveugle et sans choix. Dans ses abîmes ouverts, il attire tous les habitans des eaux, et cela, il faut le dire, à des états très différens de maturité. Le petit poisson, qui deviendrait grand, si Dieu lui prêtait vie, y passe comme le gros. Le remède à ce système de destruction brutale et imprévoyante serait d’élargir les mailles du filet de telle sorte que le fretin pût s’échapper et croître en liberté jusqu’à ce qu’il valût la peine d’être pris. On empêcherait ainsi le pêcheur de manger son bien en herbe.

Les pêcheurs de Brixham forment une race d’hommes braves et aventureux. L’un d’eux, nommé Clément Pine, avait été dans le nord de l’Angleterre pour tenter la fortune. Il se livrait donc à la pêche sur un bâtiment qui lui avait été loué par un armateur. Trouvant néanmoins le poisson rare et la chance mauvaise, il désespéra de tenir ses engagemens et rendit le sloop au propriétaire. Avec 2 livres sterling, — c’était tout l’argent qui lui restait, — il acheta un bateau long d’environ quinze pieds anglais, et l’équipa lui-même pour la pêche ; puis il se procura des lignes et des hameçons, comptant ainsi gagner sa vie et celle de sa famille. En cela, il fut encore une fois déçu. Ne sachant plus que faire et ne voulant ni mendier ni voler, il résolut de retourner à Brixham. Pine acheta en conséquence quelques livres de biscuit de mer, quatre livres de porc salé et un baril d’eau ; avec ces maigres provisions, il mit à la voile. C’était un voyage long et périlleux, surtout dans un bateau ouvert. Comment put-il se tenir éveillé jour et nuit, de manière à tourner le gouvernail de sa frêle barque dans la direction convenable ? Il s’arrêta bien en route dans deux ou trois ports, il resta même quelques jours sur la côte pour renouveler ses forces ; mais, avec la persévérance qui caractérise les pêcheurs de Torbay, il se remit en mer et continua son voyage. Une fois, assailli par une tempête, il eut l’une de ses voiles