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l’exercice d’un art. Alors les incompatibilités commencent non-seulement dans les matières enseignées, mais dans les maîtres chargés de l’enseignement. Ceux que l’Université forme et délègue parlent plus couramment la langue des facultés que celle des ateliers : la plupart sont étrangers au travail manuel ou n’en ont que des notions très insuffisantes ; ils seraient fort empruntés, si des théories ils étaient obligés de descendre à la pratique. Les grades qu’ils ont pris ne les y préparaient pas, et leur chaire serait mieux remplie par un contre-maître.

Voilà bien des faiblesses, bien des concessions, et en résumé le but n’est pas atteint. Il ne l’est ni par l’exclusion des langues anciennes, ni par les programmes réduits, ni par une moindre durée des études, ni par des exercices superficiels sous forme de récréations, ni par les recommandations données aux professeurs. On a beau se rapetisser, l’enseignement que l’on rêve, qu’indique sans le définir le sentiment populaire, échappe toujours. Il s’agit, pour en trouver l’analogue, de descendre encore, de se mettre à la portée de besoins plus modestes. Par l’enchaînement des faits, on est amené à des écoles d’application vraiment sérieuses et en tout genre, en d’autres termes à des ateliers d’apprentissage. Ici du moins l’Université résiste : non, elle ne sera pas une succursale de l’administration des travaux publics ; elle ne mettra aux mains de ses élèves ni le ciseau, ni le tour, ni la lime ; elle ne fera ni des mineurs, ni des mécaniciens. Elle sait par de nombreux exemples où peut mener ce goût pour les aventures. Les instituteurs de campagne ne demandaient-ils pas, eux aussi, qu’on mît un petit champ à leur disposition pour qu’ils pussent varier leurs classes de grammaire par des leçons de culture ? Toutes les fantaisies s’engendrent ; une fois l’élan donné, c’est à qui s’évertuera. Il est bon que l’on sache, à ne plus s’y méprendre, que l’Université forme les esprits et non les bras, et que dans tous les cas elle aimera mieux se désister que déchoir. Peut-être même devrait-elle couvrir par une défense plus résolue cette culture supérieure qui est son plus beau titre et son fonds le plus sûr. Quand on l’accuse de faire des Grecs et des Romains plutôt que des hommes de notre temps, c’est à elle de relever le défi et de venger l’injure commune. Ces hommes à qui l’antiquité est familière sont de notre temps comme les autres, mieux que les autres ; ils en sont la lumière et l’honneur ; ils gardent, dans nos civilisations positives, au moins la notion des traditions intellectuelles et des influences morales auxquelles l’espèce humaine doit la meilleure partie de sa grandeur.

Pour beaucoup de motifs, il est donc à désirer que l’enseignement purement français n’aille pas au-delà de ses programmes. Il