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agricoles. On aurait ainsi, dans toutes les branches, des maisons de noviciat où les ouvriers passeraient non plus par centaines, mais par milliers, et dont l’influence changerait avant peu la physionomie de l’activité industrielle. Le rêve est séduisant, mais ce n’est qu’un rêve. Un régime constitué sur ce pied manquerait forcément d’équilibre. Il est des tâches qui n’exigent ni tant de savoir ni tant d’habileté, et qui, quoi qu’on fasse, resteront à peu près machinales ; il faut des bras pour les remplir, et c’est le lot du plus grand nombre. L’industrie est comme une armée, les grades doivent être en proportion avec la troupe. Non pas que, dans l’état des choses, il n’y ait place pour une plus grande quantité d’hommes de choix, ayant la conscience de ce qu’ils font : c’est un progrès qui s’opère tous les jours et qui pourrait s’accélérer par les mains de l’état ; seulement, si l’état s’en mêle, le mouvement aura bientôt rencontré une limite. Deux obstacles s’opposent au développement des écoles des arts et métiers : la dépense et un échec porté à l’industrie régulière. La dépense n’effraie pas, il est vrai, les donneurs de conseils, et ils ne manquent pas de dire qu’en raison de l’intérêt en jeu c’est une très petite considération. Il est bon cependant de compter. Chacune des écoles existantes coûte par an à l’état 250,000 francs pour trois cents élèves, et 300,000 francs au moins si l’on y comprend l’amortissement des sommes engagées. C’est sensiblement 1,000 francs par élève, autant et même plus que dans les lycées. Pour des écoles nouvelles, cette dépense serait de beaucoup dépassée. Les communes n’auraient pas toutes des locaux à donner ; il faudrait en acquérir et passer par les fourches caudines de l’expropriation. L’outillage serait à créer, et pour plus d’une industrie il doublerait le prix de l’immeuble. Ce n’est pas exagérer que de porter à 300,000 francs par école ce surcroît de dépense. Supposons maintenant qu’il s’agisse de fonder vingt écoles : c’est bien le moins, si l’on prétend embrasser toutes les industries et si l’on accède aux demandes des localités qui y ont droit. On aurait alors six mille élèves de plus avec un coût de 1,700 francs par élève pour la première année, et 1,200 francs au moins pour les années suivantes. Évidemment le sacrifice ne serait pas en rapport avec les résultats, et encore les élèves admis seraient-ils des privilégiés, mot malsonnant que les ouvriers éconduits ne prononceraient pas sans murmure.

Ce n’est là qu’un des empêchemens ; en voici un autre qui n’est pas moins grave. Par le fait de la multiplication des écoles, l’état deviendrait un véritable entrepreneur d’industries ; il prendrait rang sur le marché. Avec ses trois cents apprentis, sa concurrence est insensible ; elle serait réelle avec sept mille apprentis dans tous les