Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le dessinateur semble avoir volontairement renoncé au privilège de lui en imposer un.

Nous avons dit les critiques qu’on peut élever contre l’œuvre nouvelle de M. Doré ; mais ces défauts, qui portent principalement sur la partie humaine des dessins, sont amplement rachetés par la partie pittoresque, qui est la grande nouveauté de cette illustration. On a là sous les yeux la topographie vivante, pour ainsi dire, du pays où vécut et combattit don Quichotte. Voici les vrais paysages de la Manche, la vraie plaine de Montiel, les vrais rochers de la Sierra-Morena, les bois et les ruisseaux qui longent la route conduisant à Barcelone. Le crayon de M. Doré a reproduit vigoureusement cette âpre et chaude nature avec sa végétation rare d’arbres nains ou d’herbes grasses et piquantes, ses rochers nus et chauves, sans verdure et sans fleurs ; mais cette nature n’est pas tout âpreté et violence, elle a ses douceurs et ses sourires, et M. Doré sait les saisir au passage et les fixer avec autant de mollesse et de grâce qu’il met de vigueur à reproduire ses traits sévères. Les bois et les retraites où hommes et troupeaux fuient les ardeurs meurtrières de ce soleil voisin de l’Afrique lui ont livré tous les secrets de la transparence de leur atmosphère, de la fraîcheur de leurs eaux, du crépuscule de leurs ombres. On se lasserait de compter les délicieux paysages qui abondent dans cette illustration. Comme la lune qui éclaire cette nuit grotesquement célèbre où don Quichotte fit la veillée des armes jette une lumière à la fois malicieuse et sympathique ! Elle rit sous cape, cette bonne lune, pendant que des nuages qui affectent vaguement la forme de dragons passent sur son disque, et qu’elle éclaire spirituellement tous les détails et tous les accessoires vulgaires qui nous font finement comprendre tout ce qu’a de comique la folie du chevalier. Le dessin qui représente don Quichotte et Sancho à leur première sortie, descendant un chemin en pente aux premières heures du jour, a toute la fraîcheur de l’aube. Quelle transparence et quelle légèreté d’atmosphère dans le délicieux paysage où la belle Dorothée vient chercher la solitude et le silence ! Quelle mélancolie sombre dans le dessin où don Quichotte, après sa défaite par le chevalier de la Blanche-Lune, contemple les flots et laisse échapper ces paroles navrantes : « Là tomba son bonheur pour ne plus se relever ! » Je n’indique que quelques-uns de ces paysages ; il y en a bien d’autres non moins poétiques et beaux que ceux-là. Toutefois, en accordant nos éloges absolus à cette partie de l’œuvre, nous ne pouvons nous empêcher de faire une observation. L’auteur de ces dessins incline trop à sacrifier la partie humaine, qui devrait être l’essentielle, à la partie pittoresque, qui ne devrait être que l’accessoire. Il s’arrête à toute ligne du texte qui lui permet de dessiner non une action nette et déterminée, mais