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J’ai vu cette même pierre à Helston, dans l’Hôtel de l’Ange (the Angel), et je déclare qu’elle est assez noire pour venir des régions maudites. le diable au reste est le héros de plus d’une aventure dans la mythologie populaire de la Cornouaille ; sa trace se retrouve dans la plupart des noms qui ont été donnés aux abîmes et aux cavernes du pays. Si ses visites dans l’intérieur de la contrée sont aujourd’hui beaucoup moins fréquentes qu’autrefois, c’est qu’il est retenu, dit-on, par la crainte bien légitime d’être mangé. Les habitans de la Cornouaille sont tellement avides de pâtisseries qu’ils le prendraient et le mettraient dans un pâté[1]. Il est à remarquer d’ailleurs qu’en Angleterre le sentiment du merveilleux se modifie suivant les conditions géologiques des provinces. Dans-les régions basses et marécageuses, le personnage mystérieux qui joue le plus grand rôle parmi les légendes est le feu follet, will o’ the wisp. Dans les pays de montagnes, comme la principauté de Galles, où la brume se découpe en formes aériennes et diaphanes autour des gorges sauvages, ce sont les fées qui règnent. En Cornouaille, pays de mines, de précipices et de rochers, le diable et les géans sont censés avoir mis la main à ces sombres prodiges. Rapporter à l’intervention d’êtres surnaturels les phénomènes que nous attribuons maintenant aux forces mêmes de la nature est le fait de l’enfance des races ; mais il faut bien convenir qu’en Cornouaille le caractère de ces esprits bons ou mauvais a été heureusement approprié aux traits du paysage. Un des plus malfaisans parmi ces êtres fabuleux était un nommé Tregeagle, sur le compte duquel on raconte en Cornouaille toute sorte d’histoires. Ce Tregeagle remplissait, dit la chronique, les fonctions d’intendant ou d’économe dans un château, où il se montrait le tyran des pauvres. Ayant un jour reçu d’un tenancier une somme d’argent, il mourut avant de l’avoir inscrite ! dans son livre de comptes. Le successeur de Tregeagle réclama le montant de la dette ; le tenancier refusa de payer une seconde fois, et les poursuites commencèrent. L’affaire fut jugée par un tribunal, et le débiteur présumé amena devant la cour un témoin qu’on n’attendait guère : c’était l’ombre même de Tregeagle, qu’il avait réussi à évoquer. Le procès, comme on pense bien, fut aussitôt abandonné ; mais la difficulté était maintenant de se débarrasser de l’esprit du méchant homme, qui était resté dans la salle des séances. On s’adressa, pour le faire sortir, à l’accusé ; ce dernier répondit que c’était à ceux qui avaient rendu l’apparition

  1. Pour saisir le sens de cette plaisanterie, inventée par les paysans du Devon, il faut savoir que le peuple de la Cornouaille fait des pâtés avec tout, des navets, des carottes, des pommes de terre, etc. Le diable, si dur qu’il soit, y passerait ainsi que le reste.