Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours été d’accord avec les intérêts de la royauté : l’intimité dont il avait joui auprès de la jeune cour s’était donc refroidie ; mais il n’en resta pas moins gouverneur du prince royal de par les états, dont la confiance, par complicité de parti, lui était acquise.

Nous avons de Tessin plusieurs écrits qui ont de quoi nous intéresser. Il y a peu de chose à dire d’un petit roman intitulé Faunillane ou l’Infante jaune, écrit en français, et pour lequel le peintre Boucher avait préparé une série de dessins : œuvre nullement distincte des fictions puériles que produisait, sous prétexte de badinage, certaine classe d’écrivains de troisième ordre au XVIIIe siècle. Mais Tessin a laissé un immense Journal manuscrit, en vingt-neuf volumes in-folio, duquel on a formé, par des extraits bien choisis, deux volumes agréables[1], qui font connaître l’ensemble de sa vie et de ses idées. Nous avons de plus ses Lettres d’un vieillard à un jeune prince, écrites de 1751 à 1755, publiées aussitôt en Suède et traduites dans toute l’Europe. Sexagénaire et souvent mal en cour à cette époque, Tessin vivait dans une terre à quelque distance de la capitale, et rédigeait de là pour son élève, qui avait de cinq à neuf ans, des instructions graduées, tantôt sous forme de fables imitées ou traduites de Lamotte, tantôt sous forme d’épîtres auxquelles Gustave répondait quelquefois par des billets dont quelques-uns figurent dans ce recueil. Le Journal pouvant servir à corriger ce que le volume des Lettres présenterait de factice, et d’apprêté, l’examen comparé des deux ouvrages nous permet d’apprécier l’esprit et le caractère de Tessin et l’influence qu’il a pu exercer sur l’éducation de Gustave III. Or cette influence est toute française par l’inspiration première, par le l’on général, par le tour habituel de la pensée et du langage. Bien que la plus grande partie des deux ouvrages soit rédigée en suédois, un assez grand nombre de pages y sont écrites çà et là en français ; d’ailleurs plusieurs traductions des Lettres d’un vieillard, traductions publiées dès 1755, en avaient tellement répandu chez nous la lecture, que l’auteur était presque compté comme un des nôtres.

Non-seulement Tessin a été mêlé aux temps les plus brillans de la cour de Louis XV, mais il a vu Louis XIV et Fénelon ; c’est le précepteur du duc de Bourgogne, c’est le gouverneur du dauphin, M. de Montausier, qu’il prétend imiter dans ses écrits destinés au prince. Il suffit de feuilleter au hasard le Journal et les Lettres pour se convaincre qu’un souvenir respectueux et cher reporte constamment sa pensée vers les premières années du siècle :

  1. Tessin och Tessiniana, publié à Stockholm on 1819, et Tessins Dagbok, 1757, ou Journal de Tessin pour 1757, Stockholm 1824, chacun de ces doux recueils forment un volume in-octavo.