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ressorts de notre esprit. Tremblez, monseigneur, et armez-vous de vertus contre les événemens de vos jours, afin qu’ils ne vous prennent pas au dépourvu. Comptez que ce que les hommes ont déjà vu n’est encore rien, et que Dieu s’est réservé des opérations à lui seul connues pour éprouver notre foi et notre fermeté. »


Ce sont là de belles paroles assurément, d’un accent religieux, et qui sembleraient indiquer l’austérité de l’esprit et du cœur. Pourtant de tels passages sous la plume de Tessin ne sont pas les plus fréquens, et l’on reconnaît assez vite en lui, à côté de l’observateur instruit qui se souvient et médite, l’homme de cour et le bel esprit du XVIIIe siècle. Par exemple, il aime le théâtre comme l’aimait son temps, c’est-à-dire avec passion : lui qui jadis avait joué et composé des comédies, il est encore tout feu pour une cause qui lui est chère ; il écrit à Piron pour le presser, lui et ses confrères en littérature dramatique, de consacrer désormais à la vertu triomphante les mêmes talens avec lesquels ils montraient jusqu’ici la laideur du vice. Suivant lui, le théâtre doit contribuer à l’amélioration du genre humain ; il doit servir à l’éducation privée comme à l’éducation publique, et c’est avec une prédilection évidente qu’il revient souvent, dans ses lettres, aux anecdotes, aux préceptes, aux descriptions que ce sujet comporte. Il va jusqu’à l’excès quand il se plaît à discuter avec son jeune élève, âgé de sept ans, les conditions de l’art dramatique, et particulièrement de deux genres nouveaux qui s’annonçaient alors sur la scène française : le drame et l’opéra de sentiment ; il est clair que ses préoccupations l’entraînent. Sa lettre est curieuse en même temps pour l’histoire littéraire et comme témoignage des leçons qu’il offrait à Gustave III :


« Monseigneur[1], depuis que je n’ai eu l’honneur de vous voir, j’ai appris que votre altesse royale s’était fait un nouveau plaisir en se mettant au fait des comédies françaises. On m’a écrit qu’on en a représenté plusieurs, tant à Ulricsdal qu’à Drottningholm. Je ne suis point du nombre de ceux qui sont persuadés que dans la plupart des spectacles il y a un poison secret qui ne tend qu’à corrompre les mœurs. Je pense au contraire que, comme le corps a besoin de mouvement et d’exercice, l’âme veut du repos et du plaisir. Je regarde donc le spectacle comme on regarde un dessert agréable, servi pour amuser les convives après qu’on a ôté les mets solides… Dans son origine, la comédie n’avait d’autre but que de purifier la morale et d’en inspirer la pratique ; mais, comme le spectateur paraissait y prendre plus d’ennui que de plaisir, elle souffrit qu’on mêlât à ses jeux des critiques scandaleuses sur les mœurs et sur la conduite des particuliers. Vous trouverez par exemple dans Aristophane une muse mordante qui s’attache à rendre odieux et ridicules les plus grands hommes de son siècle. Si ce poète eut vécu sous le règne de Louis XIV, il eût mis un frein à sa

  1. Lettre 66, du 23 août 1753.