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et douce, pouvait encore lui apporter de confiance personnelle et de solide bonheur.

Malheureux dans sa famille et dans son intérieur, d’abord entre une mère acariâtre et dominatrice, un père indolent et sans dignité, et des gouverneurs à la fois faibles et tyranniques, puis à côté d’une épouse accablée de dédains, Gustave, à défaut des ressources que procure une éducation sévère, trouvait-il en lui-même une force morale suffisante pour réagir contre tant de périls ? Nous avons vu ses premières années livrées aux seules influences d’un pédantisme égoïste et superficiel : ses gouverneurs n’avaient songé, dans le cours de leur mission, qu’à maintenir leur crédit politique. C’étaient, à tout prendre, d’élégans ambitieux, qui se paraient des maximes du XVIIIe siècle, et les faisaient bégayer à leur élève sans les avoir beaucoup méditées eux-mêmes. Aucun travail assidu n’ayant jamais fixé l’attention de Gustave, il avait contracté l’habitude d’une incurable légèreté de caractère et d’esprit ; en même temps un sentiment de vanité excessive qui lui était naturel, et qui se développait sous les pompeux dehors d’un vide enseignement, le préparait à concevoir une idée fort exagérée de ses agrémens personnels, de son influence et de ses prérogatives. Cependant, comme il était doué d’une intelligence vive et droite, il avait saisi et s’était assimilé quelques parties de la généreuse prédication du XVIIIe siècle : c’est ce qui le rendit capable de passer, quelquefois subitement, d’un état de mollesse efféminée à des coups de vigueur, d’une sorte d’indifférence mélancolique à de nobles sentimens, d’une froideur glaciale à des démonstrations exaltées, d’une maussade humeur à l’amabilité et à la grâce même, quand ses grands yeux d’un bleu pâle et sa vague physionomie s’animaient. Inconsistant et inégal, à la fois rêveur et obstiné dans ses vues, capable de dissimulation, mais aussi de confiance intime et d’abandon, avide tantôt d’une ambitieuse activité, tantôt de futiles plaisirs, c’était le caractère de prince le mieux fait pour donner prise au malheur public ou privé, — à l’ingratitude et aux longs ressentimens vis-à-vis de lui-même, aux embûches diplomatiques et aux guerres funestes en ce qui regardait son peuple, — et pour atteindre néanmoins, par quelques actions d’éclat, à une certaine grandeur en méritant, dans un siècle d’intelligence et de lumière, de très vives sympathies et de l’admiration même. Il allait devenir en un mot, sur la scène variée de son temps, un personnage des plus attachans et des plus dramatiques.

Humilié par l’anarchie de la Suède et le despotisme des états, il avait cherché de bonne heure, dans un commerce sympathique avec les idées que la France représentait et dans ses relations avec le cabinet de Versailles, le seul rafraîchissement d’esprit et le seul