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d’Upsal, le montre préoccupé de bonne heure de l’avenir politique et des intérêts de sa couronne. S’il écrit des plans d’opéras ou de tragédies et une histoire de Gustave Vasa, il entretient aussi une vaste correspondance, consacrée surtout aux affaires ; il rédige une sorte d’autobiographie où se retrouvent aujourd’hui la trace de ses émotions et la preuve de ses calculs ; il s’indigne du sort que la Russie et la Prusse ont préparé à la Pologne, et entrevoit les secrets desseins de ces deux puissances contre son pays ; il comprend enfin qu’il ne doit espérer de secours que du côté de la France, à la condition qu’il s’aidera lui-même en se séparant des anciens partis. Bientôt le ministre de France à Stockholm devient son confident et son conseiller ; c’est avec lui que, dès 1768, il médite des mesures hardies : il rédige des plans de coups d’état, des projets de constitution ; il relit avec une fiévreuse ardeur les mémoires du cardinal de Retz. C’est au milieu de cette agitation d’esprit qu’il reçoit du comte de Creutz une dépêche en date du 9 février 1769, à laquelle est jointe une apostille ainsi conçue : « M. de Choiseul conjure votre altesse royale de faire un voyage en France pour voir le roi : je vous assure, m’a-t-il dit, que cela en vaut la peine ; il en résultera les plus grands avantages pour la Suède. En se voyant, on fera avec la plus grande facilité, dans un seul jour, ce qu’on ne ferait pas à distance en un siècle. Nous travaillerons ensemble au bonheur et a la gloire des deux royaumes, nous préparerons à la Suède le destin le plus brillant ; mais il n’y a pas de temps à perdre : si le prince royal voulait faire le voyage absolument incognito, et sans suite, avec le sénateur Scheffer, que le roi de France aime, ce serait le mieux. Il faudrait partir tout de suite, sans que personne en sût rien, excepté le roi de France… » Après avoir rapporté ces paroles de Choiseul, Creutz ajoute : « Je reverrai donc un prince adoré ! » Gustave lui-même croyait toucher à l’accomplissement de tous ses vœux. Tous ces enchantemens de Paris, de Trianon et de Versailles, dont il ne connaissait encore que les pâles reflets, il les allait voir de ses yeux. Ces merveilles allaient briller pour lui et chercher à lui plaire ; il y mêlerait son élégance et sa jeunesse ; il montrerait à cette société française son élève, son royal émule, venu de si loin, et il remporterait en récompense quelques-uns de ses suffrages ! Gustave pouvait s’abandonner à ces rêves, auxquels le solide fond d’une plus étroite intimité politique donnait une légitime raison : il était vrai que le cabinet de Versailles, fatigué du long règne d’Adolphe-Frédéric, qui prolongeait l’anarchie et l’inaction de la Suède, était déterminé à prendre, de concert avec le prince royal, quelque résolution définitive, sans attendre l’occasion incertaine d’un nouvel avènement. Gustave, qui avait tout à gagner, se montrait fort résolu ; il accepta donc l’invitation qui lui était secrètement adressée :