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qui avait attiré sur les côtes les vaisseaux des Phéniciens et peut-être des Grecs. Les érudits de la Cornouaille soutiennent en outre que leur langue avait une richesse de mécanisme et de forme, une douceur de prononciation qu’on ne retrouverait pas au même degré dans le pays de Galles ou dans la Bretagne française. Cette langue fut parlée en Cornouaille jusque vers la fin du XVIIe siècle. Menacée de jour en jour par l’invasion de l’anglais, elle paraît s’être resserrée et maintenue plus longtemps vers les côtes. Le recteur de Landewednack, près du Lizard, est, dit Borlase[1], le dernier qui prêchait encore en celtique un peu avant 1678. Cet idiome primitif de la Cornouaille est-il même aujourd’hui une langue tout à fait éteinte ? Oui et non. On ne le par le plus, mais un vocabulaire conservé dans la bibliothèque Cotton et d’autres manuscrits lui survivent. Les noms qu’il avait donnés aux localités, surtout aux rochers et aux promontoires, sont restés vigoureusement attachés à ces inébranlables monumens de la nature. D’un autre côté, quelques-uns des mots celtiques sont en quelque sorte rentrés sous terre ; on les retrouve au fond des mines dans le. langage familier des briseurs de roches. Des proverbes et d’autres débris de cette langue vénérable errent en outre dans l’idiome moderne des habitans, auquel ils donnent un caractère sentencieux. Je ne citerai que deux de ces maximes bretonnes : « En été, souviens-toi de l’hiver. — N’attends rien de bon d’une langue trop longue ; mais un homme sans langue perdra sa terre. »

La race celtique s’étend sur toute la Cornouaille ; mais c’est de Falmouth au cap du Lizard qu’elle m’a paru offrir le type le plus pur, surtout, parmi les femmes. Dans cette dernière localité, la tradition veut encore, qu’il y ait eu autrefois une infusion de sang espagnol. Cette hypothèse s’appuie sur certains noms castillans qui se sont conservés dans quelques familles, du hameau et sur les traits physiques des habitans. Il est bien avéré qu’on trouve de temps en temps avec surprise parmi eux des traces d’origine méridionale, un teint bruni par exemple et une riche profusion de cheveux noirs. C’est toutefois, en l’absence de documens consacrés par l’histoire, une base bien fragile pour étayer une théorie ethnologique. De tels caractères peuvent avoir été gravés par le climat : ne rencontre-t-on point de même au Lizard des plantes sauvages qui ne croissent nulle autre part en Angleterre et qui appartiennent essentiellement aux pays chauds ?

  1. Antiquaire et historien de la Cornouaille, né en 1696 à Pendeen. Après avoir reçu les ordres en 1720, Borlase fut durant plusieurs années vicaire de Saint-Just et mourut en 1772. Ses principaux ouvrages sont Antiquities of Cornwall, Antiquities of Scilly Islands, Natural History of Cornwall.