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la côte. En se sauvant, ils eurent soin de sauver la reine et deux ou trois de ses filles d’honneur. Jetés sur un rivage désert et inconnu, ils n’oublièrent point de préparer pour la nuit un abri sous lequel leur souveraine pût reposer dignement. On repêcha dans la mer une grande voile qu’on fit sécher et qui servit de tente. Les marins étendirent leurs vestes sur la terre, coupèrent de grosses branches dans les forêts qui existaient alors et formèrent au-dessus du lit de la reine comme un toit de feuillage. Le soir venu, la reine, touchée sans doute des égards et du dévouement de ces pauvres sujets qui ne songeaient qu’à elle dans leur désastre, les admit à l’honneur de lui baiser la main. Les rudes matelots, posant un genou en terre, vinrent ainsi s’acquitter l’un après l’autre du cérémonial qu’ils avaient vu pratiquer avec plus de grâce par les seigneurs à bord du vaisseau. Un garçon de douze ans, qui remplissait durant la traversée les fonctions de mousse, fut choisi pour page, et, un rameau de fougère à la main, éventa l’auguste visage de Zénobie, sans doute en souvenir d’un pays d’Orient où il y avait des moustiques et où la chaleur était étouffante. Au reste, la reine, épuisée de fatigue, dormit profondément, tout aussi bien que si elle eût été couchée sur un lit de pourpre. Le lendemain matin, les naufragés se répandirent sur le rivage, mais ils n’aperçurent que les débris de leur navire et les vagues qui mugissaient derrière les vagues. Ils n’avaient ni les outils ni les moyens nécessaires pour construire un autre vaisseau. Pendant des journées entières., ils regardaient fixement la mer, cherchant à y découvrir au loin quelque voile ; au bout d’un certain temps, ne voyant rien venir, ils perdirent l’espoir de retourner dans leur contrée et se mirent à bâtir des cabanes. On en construisit une pour la reine : cette hutte, bâtie en terre et en bois, ne valait point son ancien château ; il fallut pourtant bien qu’elle s’en contentât. On cherchait d’ailleurs à la consoler en lui apportant de beaux morceaux d’étain, des pierres rares et des cristaux. Les quelques provisions qu’on avait réussi à sauver du naufrage étant épuisées, il fallut qu’on songeât à se procurer des moyens d’existence. Parmi les anciens matelots, quelques-uns s’élancèrent à la poursuite des bêtes sauvages. Le plus grand nombre toutefois abattit les arbres et creusa des canots pour se livrer à la pêche. La reine vit avec tristesse son peuple se disperser ; le zèle même de ses anciens sujets ne tarda point à se refroidir au milieu des durs travaux imposés par la nécessité. Ses riches vêtemens d’or et de soie tombèrent en pièces, et elle fut trop heureuse de les remplacer par des peaux de phoque. Ses filles d’honneur, désespérant d’épouser des princes, consentirent après quelque hésitation à se marier avec de pauvres marins. Dans les commencemens, elles