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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

À mon réveil, mes impressions étaient toutes changées. L’exaltation de la veille faisait place à une lassitude humiliée, et un singulier malaise m’oppressait. Je me levai, et j’ouvris la fenêtre. Le ciel était gris, et une pluie glacée me frappa au visage. Je refermai la fenêtre et me jetai en frissonnant sur mon lit ; mes paupières appesanties s’abaissèrent d’elles-mêmes, mais je ne parvins pas à me rendormir. Mille idées confuses s’agitaient lourdement dans mon cerveau, sans que je pusse arrêter ce travail incessant de la fièvre. Parmi les pensées qui s’entre-choquaient ainsi, la plus importune, la plus douloureuse, c’était le souvenir de Louise. Je voulais en vain l’écarter ; elle revenait toujours, et je rougissais d’avoir pu songer à être heureuse à sa place ; je me reprochais amèrement cet espoir presque criminel, auquel mon âme s’était soudainement livrée, et pourtant je ne pouvais me résoudre à lui sacrifier mon cœur, car je savais enfin que j’aimais, et de quel amour… Je me rappelais une à une toutes les heures écoulées depuis l’arrivée de Robert parmi nous ; je suivais Louise pas à pas durant cette longue suite de jours, cherchant des indices, épiant des symptômes et voulant me persuader qu’elle n’aimait pas autant que j’aimais moi-même. Je me redisais ces mots de Robert dont j’avais été frappée ; — C’est une enfant ; est-ce qu’on aime à son âge ? — Mais je ne parvenais pas à me rassurer. Je connaissais trop la tendre et délicate nature de Louise, cette sensibilité profonde qui souvent, pour des peines légères, nous avait fait trembler, et en songeant à toutes ces choses des larmes brûlantes tombaient de mes paupières fermées.

En ce moment, un souffle léger passa sur mon front ; j’ouvris les yeux, et je vis Louise qui se penchait vers moi. — Qu’as-tu donc ? tu pleures ? me dit-elle avec une douce inquiétude. As-tu quelque chagrin ? es-tu malade ?

— Non, répondis-je en essayant de sourire. Je pensais à toi, ma petite Louise. Sais-tu qu’il faudra nous séparer bientôt ? Un sentiment nouveau va sans doute diviser nos vies comme nos cœurs.

— Tais-toi, méchante ! s’écria-t-elle vivement ; est-ce que je pourrais vivre sans toi, sans t’aimer, sans te confier, comme autrefois, toutes mes pensées ? — Tenez, ingrate, voyez quel moment vous choisissez pour me dire de si dures paroles… Je vous apporte mon cadeau de noces.

Et elle mit dans mes mains une liasse de papiers que je pris machinalement. Chacune de ses paroles, sa sécurité, son air joyeux et tendre me navraient. — Si je lui prends son bonheur, me disais-je, qui la consolera ? Elle, sans soupçonner l’amertume de mes pensées, s’empara doucement de mes deux mains. — Écoute, reprit-elle avec son charmant sourire, te rappelles-tu une petite maison grise, toute tapissée de vigne et cachée sous des châtaigniers, pour