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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

Sa voix était altérée : on eût dit qu’elle attendait la sentence qui devait la faire vivre ou mourir.

— Eh bien ! dis-je lentement, si en effet il en aimait une autre ?…

Elle jeta un cri, et devint toute tremblante et pcâie comme une morte. — Il vaudrait mieux mourir, balbutia-t-elle d’une voix étouffée et avec un accent qui me déchira le cœur. Ô Madeleine !…

Elle joignit les mains, et sans pouvoir ajouter un mot elle me regardait avec un effroi suppliant.

Je ne pus résister à ce regard. — Rassure-toi, dis-je en l’attirant sur mon cœur ; je vois bien que tu l’aimes ; pardonne-moi d’en avoir douté, de t’avoir effrayée… Oui, toute incertitude doit cesser… Tu seras heureuse, ma Louise ; va, sois tranquille.

Je l’embrassai à plusieurs reprises et la calmai aisément. La sereine confiance de la jeunesse remplaça vite cette passagère inquiétude que j’avais fait naître. Peu d’instans après, Louise me quittait, légère et déjà consolée. Restée seule, je me dis que j’étais bien perdue. Je devais tout à mon oncle, à Louise elle-même ; pouvais-je ravir à ma sœur celui qu’elle aimait ? — Car elle l’aime ! — me disais-je. Je me dois cette justice que je ne faiblis pas devant le sacrifice. Quand je crus comprendre quel était mon devoir, je l’acceptai sans lâcheté. Je repoussai courageusement toute pensée qui eût pu m’attendrir sur moi-même, et je songeai résolument à mettre l’impossible entre Robert et moi.

L’heure de rejoindre la famille me surprit au milieu de ces réflexions. Je ramassai tristement les titres de propriété que Louise m’avait apportés et que j’avais laissés tomber sur le parquet, et je me dis que peut-être un jour j’irais ensevelir dans cette solitude mon cœur anéanti ; mais je chassai vite cette pensée avec un fier sourire : je me sentais l’âme si bien trempée, qu’il ne me semblait pas que la douleur pût me vaincre. J’avais hâte de revoir Robert pour fixer irrévocablement mon sort. La douleur du sacrifice disparaissait presque dans l’orgueil du devoir accompli.

À trois heures, Robert vint comme chaque jour. Il était fort pâle, et Louise le plaisanta sur ce qu’elle appelait son air fatal. Pour moi, je n’osais ni le regarder, de peur de faiblir, ni parler. Chez Robert, une légère contraction des lèvres et des sourcils trahissait une préoccupation inaccoutumée. Il attendait, comme moi sans doute, l’instant où nous nous trouverions seuls ; mais l’occasion ne venait pas. Mon oncle était sorti ; comment éloigner Louise ? Les heures se traînaient péniblement. La causerie languissante, l’air inquiet de Louise, qui ressentait notre malaise sans le comprendre, ma propre émotion, tout rendait l’attente insupportable. Si ma volonté ne fléchissait pas, je sentais du moins mes forces faiblir. Enfin Louise se leva, fatiguée peut-être à son insu par le poids de