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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

ainsi, après quelques heures de recherches, ressaisir mes traces. Un peu de réflexion, un secret pressentiment peut-être lui fit deviner le reste. Vingt-quatre heures juste après moi, il prenait la route de la Bretagne. À Vannes, il eut quelque peine à se renseigner sur la situation exacte de La Roche-Yvon, et ne put même pas se procurer de guide ; mais, résolu et confiant en son instinct de demi-sauvage, il se lança seul, malgré l’obscurité, dans le dédale des chemins creux et des landes, tantôt arrêté par les ronces et les buissons, tantôt se heurtant à des roches de granit. Il courait le risque d’errer ainsi jusqu’au matin, et la lande commençait à lui sembler sans issue, lorsqu’il distingua au loin la faible lueur que projetait ma fenêtre éclairée. Il marcha dans cette direction et se trouva bientôt au pied du logis. Quoique rien ne l’assurât que cette masse confuse, dont il ne pouvait distinguer les formes à travers la nuit, fût La Roche-Yvon, il était résolu à demander là l’hospitalité et à y attendre le jour. C’est alors qu’il avait frappé. J’avais ouvert la fenêtre, et lui, me reconnaissant, avait saisi le tronc noueux de la vigne, et s’était en un instant trouvé près de moi.

Après ce long récit, il me fut évident que mon malheureux oncle, dans son imprudente colère, avait creusé entre Louise et son mari un abîme qu’il serait bien difficile désomlais de combler. La funeste passion de Robert se faisait d’ailleurs dans cette circonstance complice de son orgueil.

— Il faut partir, — lui disais-je ; mais il secouait la tête d’un air résolu.

— Ma vie est où vous vivez, répondait-il : je resterai ; si vous me chassez, je me réfugierai dans le bois voisin, dans une chaumière, n’importe où. Je respirerai le même air que vous, je vous verrai de loin. Quelquefois je passerai près de vous, et je vous saluerai comme font les paysans qui vous rencontrent sur la route. M’envierez-vous cette joie des pauvres et des indifférens ?

J’aurais dû le repousser, refuser de l’entendre, lui interdire l’accès de ma demeure ; mais les sophismes de la passion, les défaillances d’une volonté séduite se réunissaient pour me perdre. — Je saurai le décider à partir, pensais-je ; il ne me faut qu’un peu de temps. Moi seule je puis faire ce miracle de fléchir son orgueil. C’est ainsi que je cédai aux artifices de mon cœur, et je consentis à revoir Robert. Je lui indiquai dans la châtaigneraie un endroit écarté où je devais le rejoindre vers le milieu du jour. Les premières lueurs de l’aube blanchissaient l’horizon ; il était temps de se séparer. Des bruits confus encore et rares annonçaient le retour de la vie active dans l’immense étendue. Les coqs enroués s’appelaient déjà d’une ferme à l’autre. Nous échangeâmes un adieu avec l’assurance de nous retrouver dans quelques heures, et Robert, enjambant leste-