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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

il éclairait ma honte. Je n’osais plus regarder en face la vieille Marie-Anne, ce visage d’honnête femme me troublait. Je sus alors quelles sont les vraies misères de ce monde, celles dont on rougit et qu’on n’ose avouer ; je sus qu’il n’est pas de plus cruel abandon que celui d’une âme qui a perdu le respect d’elle-même, qui se juge et se fuit. Il me semblait que Robert lui-même devait me mépriser ; souvent je le lui disais, et tous les efforts de sa tendresse ne réussissaient pas à me rassurer. Sitôt qu’il me quittait, je tombais dans de cruels désespoirs ; il me semblait presque que je le haïssais. J’aurais voulu être morte, et la mort me faisait peur. Que n’aurais-je pas donné pour croire au néant !

Tant que j’avais été pure, je m’étais crue invincible ; les obstacles mêmes accroissaient mon orgueil, et j’affrontais le péril avec une témérité hautaine ; je croyais n’avoir d’autres conseils à prendre que les miens, d’autre juge à redouter que moi-même. Cet immense orgueil ne survécut pas à ma chute ; moi tombée, il ne me resta rien. Je passai subitement d’une confiance insensée à un abattement désespéré, et je commençai à flotter, comme une chose inerte, au gré des plus folles terreurs, d’os contradictions les plus douloureuses. J’essayais de regarder au ciel ; mais Dieu ne m’apparaissait que pour me condamner.

Mes nuits s’écoulaient dans de mortelles insomnies ou d’effrayans cauchemars ; j’arrivais au matin baignée d’une sueur froide, brisée de corps et d’âme, pour reprendre le lourd fardeau de mes remords. Mon mal ne fit qu’augmenter, et Robert s’en alarma malgré les efforts que je faisais pour le cacher. J’avais perdu le gouvernement de ma volonté : parfois j’accablais Robert de tendresse passionnée, puis l’instant d’après tout était changé ; je l’accueillais d’un air irrité, ou bien je le repoussais et tombais en de longues crises de larmes. Je ne pouvais rester seule dans ma chambre sans ressentir une frayeur maladive ; il me semblait que la vengeance divine m’attendait dans ce lieu. La vie me devint intolérable, et je suppliai Robert de m’emmener. — Allons plus loin, lui dis-je ; la mer est devant nous, là-bas ; marchons vers elle. Je retrouverai le calme peut-être au spectacle de sa grandeur et de ses orages.

Nous partîmes dès le lendemain. Quand je dis adieu à Marie-Anne, elle m’embrassa les larmes aux yeux. — Vous avez raison de retourner à Paris, dit-elle avec sa naïve rudesse ; l’air du pays n’est pas bon pour vous, mademoiselle. Je n’osais pas vous le dire, mais je crois bien que vous n’auriez pas vu les neiges, si vous étiez demeurée ici plus longtemps.

Je la quittai sans la détromper et sans lui dire que je restais en Bretagne. Nous nous arrêtâmes, Robert et moi, dans un hameau de pêcheurs où de braves gens consentirent à nous recevoir. Pendant