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les soldats débandés, prêts à se livrer aux plus honteux excès. Pendant cinq mois, à la suite des journées de juin 1863, Athènes a été exclusivement gardée par sa milice citoyenne, sans un soldat, un gendarme ou un sergent de ville ; dans ses annales, on ne compte peut-être pas une époque où l’ordre et la sécurité aient été plus grands, où il y ait eu moins de crimes et de délits, et tous ceux qui ont alors visité la capitale de la Grèce peuvent attester comme nous avec quel zèle, quelle discipline, quelle intelligence et quelle politesse les gens du peuple accomplissaient leur service, infiniment actif et pénible, de gardes nationaux. Les classes populaires dans le royaume hellénique sont laborieuses, patientes, sobres, d’une chasteté extraordinaire pour une population méridionale. Dans un état de société plein encore de rudesse et de violence, leurs mœurs sont douces et leur caractère vraiment, bon. Affectueux et simples, les gens du peuple, surtout dans les campagnes, accueillent le voyageur avec un empressement touchant ; ils le soignent comme un frère, s’il est malade ; ils cherchent à le distraire, s’il paraît triste ; ils s’attachent vite à celui qui leur témoigne de l’intérêt, et ces hommes qu’on accuse de toujours calculer se donnent sans réserve et sans arrière-pensée. L’honnêteté est extrême dans les rangs inférieurs ; un Anglais, qui est établi depuis trente ans à Athènes et qui est loin de se montrer favorable aux Grecs, nous faisait remarquer que le vol domestique était inconnu parmi eux. Descendez dans l’intérieur des familles, vous y rencontrerez des sentimens religieux sans hypocrisie, des vertus réelles sans ostentation, un grand respect pour la pureté des jeunes filles et les cheveux blancs des vieillards, beaucoup d’union entre les frères, une confiance réciproque, un grand calme d’existence et très peu de tracasseries domestiques. Ne vous croiriez-vous pas alors transporté dans un de ces pays où le froid amortit la fougue des passions et resserre les liens qui unissent les hommes par le sentiment de leurs besoins réciproques ? Et cependant jamais un azur plus serein n’a brillé sur votre tête, jamais une atmosphère plus douce et plus pure n’a caressé vos organes : c’est la zone de Sybaris et de l’Ionie, c’est le climat où Cadix et Naples retentissent de leurs fêtes éternelles,


Littora quæ fuerunt castis inimica puellis,


où le Turc, indifférent à tout le reste, ne conserve d’ardeur que pour ses impures et insatiables voluptés, où la nature enfin, lasse de produire des tempéramens énergiques ? semble engourdie dans une corruption raffinée, obstacle éternel aux conquêtes de la vertu, aux efforts du patriotisme et de la liberté. Il faut donc qu’un travail bien étrange se soit opéré sur cette terre, il faut que l’homme qui l’occupe y ait subi un renouvellement bien complet pour qu’il ait