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un temps plus long que pour s’affranchir. Jadis la loi romaine n’assimilait définitivement les anciens esclaves aux hommes libres de race qu’à la seconde génération née depuis l’affranchissement. C’était une loi profondément philosophique et qui doit s’appliquer aux peuples comme aux individus. En Grèce, l’indépendance est encore de date bien récente : les chefs de partis politiques, les hommes en possession d’occuper les ministères à tour de rôle, appartiennent presque tous à la génération qui a vécu jusqu’à l’âge d’homme sous l’esclavage ottoman, et ont conservé le pli moral reçu dans leur enfance ; la nouvelle génération qui commence à poindre est née au lendemain même de l’affranchissement, et son éducation, loin de se faire à la forte école de la liberté constitutionnelle, s’est faite sous un gouvernement qui redoutait avant tout les aspirations libérales, qui semblait prendre à tâche d’éloigner la jeunesse de la pratique des choses de l’état. Aussi les Grecs ne sont-ils, à proprement parler, que des affranchis. Ils ont la ferme volonté de s’inscrire d’une manière définitive au rang des peuples libres, et ils font, pour y arriver, de louables efforts ; mais ils ont encore les défauts des affranchis, leur inexpérience, leur ruse soupçonneuse, traversée de temps à autre par des entraînemens de crédulité irréfléchie, leur passion de se sentir maîtres à leur tour ; ils en ont les erreurs, ils en commettent les fautes. Le temps seul et l’expérience, acquise souvent à leurs propres dépens, effaceront chez eux ces restes de la condition servile sous laquelle ils ont langui pendant quatre siècles.

L’Europe, qui avait prêté à leur délivrance un généreux appui, avait une noble mission à remplir envers eux, celle de tutrice désintéressée, de guide de leurs premiers pas. Tout au contraire, les intrigues rivales des gouvernemens occidentaux ont été une triste école pour les hommes d’état de la Grèce. Dès les premiers jours de l’insurrection grecque, on avait vu se former ce que l’on a nommé les trois partis étrangers. Il était évident que la Grèce ne pourrait pas indéfiniment combattre avec ses seules forces contre les forces immensément supérieures de la Turquie, et qu’un jour viendrait où un appui extérieur serait la condition indispensable de son salut. En conséquence, tous ceux qui avaient à cœur l’œuvre entreprise de reconstituer la nation, qui possédaient quelque connaissance des affaires politiques, cherchaient, chacun selon ses idées ou ses sympathies individuelles, à lui procurer au dehors l’amitié et le concours d’une des grandes puissances européennes. L’existence des trois partis était donc un résultat presque nécessaire des circonstances que traversait alors la Grèce, et des dangers auxquels elle était chaque jour exposée ; mais les partis russe, anglais et français auraient cessé avec la crise qui leur avait donné naissance, si les gouvernemens de ces trois puissances avaient compris que les devoirs