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— Je ne vous suivrai certainement pas, si vous me le défendez.

— Je vous le défends expressément…..

Et là-dessus ils se séparèrent sans qu’Austin conservât à cet égard la moindre arrière-pensée : non qu’il eût pleine satisfaction, il est aisé de le voir, non qu’il abdiquât l’aversion profonde dont il était animé contre les deux misérables êtres qui semblaient se placer entre lui et son bonheur, mais tout simplement parce qu’il était saisi depuis peu d’une fièvre nouvelle, la fièvre de la politique et de l’ambition. Jusqu’alors les leçons et les conseils de son père avaient pu sembler perdus : il ne s’était occupé qu’en simple amateur des affaires contemporaines ; mais l’élection de son ami, à laquelle il avait pris part d’une manière très active, et surtout l’importance vitale des questions qu’avait soulevées la soudaine conversion de sir Robert Peel, venaient de faire éclore dans son âme les germes que le vieil Elliot y avait déposés jadis avec tant de zèle. Les intérêts de son amour, l’attention qu’il donnait aux affaires d’Eleanor, l’impatience causée par les visites d’Hertford, le sentiment d’insécurité qu’éveillaient en lui les sourdes menées de la tante Maria, tout cela, momentanément primé par des préoccupations d’un autre ordre, n’avait plus à ses yeux la même importance.

Eteanor, à peine rentrée, se trouva aux prises avec l’implacable tante.

— Ça, disait celle-ci, quand finiront vos momeries amoureuses et ces continuels tête-à-tête sous prétexte de religion ?

Eleanor ne se défendait jamais des insultes que par le silence. Elle ne répondit rien ; mais elle n’en resta pas moins en butte à un déluge d’acrimonieuses, censures et de brutales railleries. Assise, les deux mains sur ses genoux, drapée dans son manteau gris qu’elle n’avait pas eu le temps de quitter encore, et qui l’enveloppait de la tête aux pieds, gardant une attitude impassible qui lui était particulière, nous l’avons dit, et qui semblait l’idéal de la grâce résignée, elle laissait passer le, torrent injurieux.

— Vous savez que nous sommes le quatorze ? finit par lui dire la tante Maria, lasse de parler et lasse de la voir se taire.

— Comment voulez-vous que je l’oublie ?

— Eh bien ?

— Eh bien ! ma tante, j’irai comme toujours… J’ai prié le capitaine Hertford de m’accompagner.

— Vous devriez plus souvent, recourir à lui… Voilà ce que j’appelle un homme !… Et cet homme est à vous de cœur et d’âme.

— C’est sans doute un grand honneur qu’il me fait ; mais je le tiendrais quitte à meilleur marché… Du reste, ma tante, je lui sais gré de sa conduite dans cette malheureuse affaire… Sans me permettre d’apprécier ses motifs, je reconnais que ses actions ont été