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elle ruissellera du sang innocent… Bientôt ce sera la main d’un assassin !…

Avant que le capitaine Hertford se fut bien rendu compte de cette apostrophe solennelle, et tandis qu’il se demandait encore s’il avait affaire à un fou, lord Edward continua : Capitaine, je ne puis vous empêcher de tuer Austin Elliot ; avec les sentimens d’honneur que je lui connais, mon intervention, si elle mettait obstacle à une rencontre, lui ferait une vie pire que la mort… Je ne parle donc pas de lui, mais de vous… Votre plan m’a été révélé dans tous ses détails. La personne à qui vous en avez fait confidence, je sais où la trouver… Je puis donc l’amener au pied des tribunaux et vous convaincre ainsi d’une préméditation de meurtre… Il m’est interdit de sauver Austin, mais, vous devez le voir, j’ai de quoi le venger… Si malheur lui arrivait, votre perte est assurée… Tenez-vous-le pour dit, capitaine Hertford, et faites-moi connaître dès maintenant à quel parti vous vous arrêtez…

La physionomie du capitaine indiquait assez clairement que sa résolution, prise en toute liberté, aurait été de sauter sur lord Edward et de lui briser la tête contre la muraille ; mais il se contenta de balbutier à demi-voix : Un moment, mylord ! laissez-moi le temps de la réflexion… Vous vous prévalez un peu trop de votre faiblesse… Il examinait, tout en parlant ainsi, les mauvais côtés de sa position. Nul doute que, trahi par son interlocuteur de la veille, il ne pût être impliqué dans un procès criminel pour « complot de meurtre[1], » procès bien autrement dangereux que celui auquel donne ouverture un duel pur et simple. Ses projets relativement à Austin se trouvèrent par là même annulés : il y renonça immédiatement, et la victime désignée devint inviolable pour lui, du moins sur le sol anglais. Mais il avait eu peur, peur de cet enfant désarmé qui se traînait silencieusement vers lui les mains étendues : or chacun sait que chez ces pervers la réaction de la peur engendre une âpre soif de vengeance. Il eût voulu prendre lord Edward à partie, et ceci était tout simplement impossible. En revanche… en revanche il y avait le frère de lord Edward, et par là du moins il pouvait l’atteindre. On parlait bien de rigueurs nouvelles à introduire dans les lois qui répriment le duel ; mais des acquittemens nombreux, dont quelques-uns étaient tout récens, garantissaient une impunité relative aux rencontres armées des législateurs eux-mêmes. Canning et Londonderry, Wellington et Winchelsea, bien d’autres encore frayaient la voie aux duels politiques. Or, en pleine séance du parlement, lord Charles Barty lui avait adressé de ces paroles qu’un homme n’accepte pas sans laisser un accroc à sa renommée. Hertford les

  1. Le mot légal est conspiracy.