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abjecte harengère, et relativement se trouvait petit. — Elle mourrait, se disait-il, pour cet abominable vaurien, tandis que moi,… moi, grand Dieu !…

Son tour arriva. On exigea de lui deux cautions de cinq cents livres sterling. Une douzaine au moins des amis de son père accoururent pour offrir ces garanties pécuniaires, et Austin, devenu libre, put s’occuper aussitôt des préparatifs de son départ. Prévoyant une condamnation, qui était, à vrai dire, inévitable, il enjoignit à son avocat de rédiger un acte qui transférait tous ses biens à Eleanor[1], acte qu’il promit de revenir signer en temps utile. Pour le cas où il succomberait avant d’être condamné, il dressa un testament sommaire par lequel il laissait tous ses biens à la même personne, la priant de compenser, sur le produit du legs, le dommage subi par les personnes qui avaient bien voulu lui servir de caution. Son domestique, chargé de veiller sur Robin, eut ordre de le conduire chez miss Hilton, si quelque malheur arrivait. Cet homme, effrayé, demandait en pleurant à son maître la permission de l’accompagner. Austin, très pâle, mais très résolu, la lui refusa formellement.


XIV

Ce fut un voyage bizarre, une course haletante, une chasse effrénée, — d’abord à Calais, où le capitaine Hertford n’était point, où il n’avait jamais paru, puis à Boulogne, où trois jours furent perdus en quêtes inutiles. De Boulogne, Austin revint à Douvres et de là courut à Brighton, d’où le capitaine avait pu s’embarquer soit pour Dieppe, soit pour le Havre. Réduit à opter entre ces deux hypothèses, il se décida pour la première, et prit passage à bord du Venezuela, que les flots démens ont englouti, je l’espère, car jamais plus odieux steamer n’a fait la traversée de la Manche. À Dieppe, mêmes résultats ou plutôt même absence de résultats ; mais au moment de quitter la partie, Austin rencontra un de ses camarades d’université qui, par grand hasard, lui fournit le renseignement dont il avait besoin. — Vous ayez tort, lui dit ce jeune homme, de prendre si fort à cœur les bruits qu’on a fait courir sur votre compte ; nous vous connaissons trop bien, moi et beaucoup d’autres, pour vous soupçonner d’avoir mis en avant, comme champion de votre

  1. Ceci demande explication : les propriétés que le duelliste possède au moment de la condamnation demeurent dévolues à la couronne. Il est douteux, au surplus, que la transmission de biens souscrite au profit d’un tiers par un prévenu sous caution (under bail) puisse être regardée comme valide. Cette question n’est pas résolue dans le remarquable article que M. Samuel Warren, l’avocat romancier, écrivait il y a plusieurs années dans le Blackwood à propos de l’affaire entre lord Cardigan et le capitaine Tuckott, article qui renferme un exposé complet des mesures législatives adoptées en Angleterre contre le duel.