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Bonn lui parurent absolument insipides malgré l’enthousiasme d’un jeune poète américain, décidé à les lui faire admirer. Après une nuit passée à l’hôtel du Géant (Riese-hof), il traversa, cahoté dans un fiacre, la jolie vallée qu’arrose la Lahn, tandis que la brume matinale remontait lentement vers les hauteurs boisées qui l’enveloppent de toutes parts. Il trouva les « sources » envahies par une foule de buveurs groupés autour du Kesselbrunnen, du Krœnchen, du Furstenbrunnen. Un individu le heurta par hasard dans cette cohue, et lui adressa aussitôt des excuses polies. C’était un Tyrolien dont le costume pittoresque et la haute taille frappèrent notre jeune voyageur, qui fut pris du désir de continuer leur conversation, commencée en français sous de si favorables auspices. Peu à peu il découvrit que son interlocuteur, nonobstant sa remarquable prestance et sa mise d’opéra, n’était qu’un marchand de curiosités indigènes. — N’auriez-vous pas une tête de chamois ? lui demanda-t-il après avoir fait emplette de deux ou trois bagatelles insignifiantes.

— Pas pour le moment, répondit l’autre ; mais mon frère cadet, dont l’étalage est ici près, pourra vous en offrir plusieurs à choisir…

Devant l’étalage du « frère cadet, » Austin reconnut le capitaine Hertford, qui marchandait une paire de gants.

Pris à court et ne sachant que décider immédiatement, il se tourna vers son guide, et par un geste expressif lui recommanda le silence. Le Tyrolien comprit, salua, et s’en retourna dans sa stalle. Le capitaine Hertford, ses gants achetés, remonta dans la grande salle du Kurhaus évidemment avec l’intention d’aller prendre les eaux. Déjà il portait à ses lèvres le verre de cristal rouge quand Austin, arrivé derrière lui, dit simplement de sa voix la plus calme : — Capitaine Hertford, j’ai à vous parler.

Il était brave, le capitaine ; mais il ne méconnut pas cet organe vibrant et se retourna plus pâle que la mort. À l’aspect du visage d’Austin, de ce front chargé d’orages, de ce regard éperdu, le verre qu’il tenait tomba de sa main et s’éparpilla sur les dalles en mille fragmens qu’on eût pu prendre pour autant de rubis. — Vous savez, je crois, ce que j’attends de vous, lui dit Austin.

— Serait-ce encore un duel ? demanda le capitaine Hertford à voix basse ; il y a méprise bien certainement… Cette dernière rencontre a eu des suites assez terribles… Est-ce bien un duel que vous voulez ?

— Précisément… Il me serait pénible d’avoir à le répéter.

— Soit… Et que le sang versé retombe sur votre tête !… Nous sommes, Jackson et moi, logés à l’hôtel d’Angleterre… C’est là que nous attendrons votre témoin…

Mais Austin ne savait à qui s’adresser, et dut recourir au major Jackson, qui le présenta lui-même à un touriste français, arbitre