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émérite en ces matières. La rencontre fut convenue pour le soir même, près d’un petit village appelé Dausenau. Les impressions d’Austin, pendant qu’il traversait par cette belle soirée de juin, au fond d’une étroite vallée, les vertes prairies qu’on trouve sur la gauche de ce village gothique, participaient malgré lui du charme paisible qu’offrait le riant paysage, traversé d’eaux babillardes, empourpré de lueurs roses, perdu par endroits sous le feuillage, ailleurs révélé par de brusques éclaircies. L’amertume de son désespoir s’en trouvait atténuée ; ses pensées vindicatives s’apaisaient ; l’espèce de rage folle qui le tourmentait naguère à l’idée de son honneur flétri, de son avenir ruiné, avait fait place à un immense besoin de repos, — ce repos dût-il être celui de la tombe. Dix minutes après, face à face avec son ennemi mortel, il goûtait, pour la première fois depuis la mort de son meilleur ami, un calme parfait, une sérénité absolue, un bien-être intime que les circonstances rendaient vraiment singulier… On se l’expliquera peut-être bientôt.

Le capitaine Hertford tira le premier. Austin entendit la balle siffler à deux pouces de sa tête. Jusqu’alors il avait tenu son adversaire en joue ; mais en ce moment, fidèle à une résolution qu’il avait prise, à un serment solennel qu’il s’était fait le soir même du jour fatal où lord Charles avait succombé, il se détourna et fit feu dans la direction d’un rocher qui pointait sous le taillis à la droite des combattans. Le capitaine insista pour une nouvelle épreuve, et dans la discussion soulevée à ce sujet on put s’assurer qu’il n’était pas tout à fait de sang-froid. Les vins du Rhin portent quelquefois à la tête malgré leurs dehors inoffensifs. Devant ses instances réitérées, les témoins, bien à regret, se crurent obligés de fléchir. Austin, cette fois comme l’autre, tira évidemment de côté. Par un bonheur singulier, la balle de son adversaire ne fit que lui effleurer la jambe. L’affaire devait nécessairement en rester là. Tel fut le premier et le dernier duel de notre jeune héros, bien décidé à se faire sauter la cervelle plutôt que de souiller ses mains du sang d’un homme.


XV

Quand Austin, de retour à Londres, reparut chez son attorney trois jours avant l’expiration du délai fixé par la loi, ce fut dans l’étude une stupéfaction générale. Le moins étonné de tous n’était pas l’attorney lui-même, qui se mit presque à genoux devant son client pour l’engager à repartir au plus vite. — Mille livres sterling ne sont rien auprès de la condamnation qui vous attend et que je regarde comme infaillible, lui disait-il, grossissant à dessein le danger. Je ne crois pas que la peine capitale soit prononcée contre vous malgré le déchaînement de l’opinion et la disposition des juges