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caractérise d’ailleurs bien la pêche de Mount’s-Boy, c’est de lui qu’il faut nous occuper d’abord. Répond-t-il bien pourtant à l’idée qu’on se fait ordinairement d’un filet ? Non, surtout si on le compare au trawl, ce filet du Devon, enveloppant le poisson dans ses cavités perfides comme dans un abîme tissé par la main de l’homme. Le drift est un long réseau, ayant à un bout une série de carrés de liège, et à l’autre extrémité des morceaux de fer ou de plomb. Les carrés de liège flottent à la surface, tandis que le bas du filet s’enfonce sur toute la ligne et le maintient dans une position verticale. Il forme, étendu de la sorte, un véritable mur, ayant une longueur de trois quarts de mille, quelquefois même d’un mille et demi, et oppose un obstacle à la marche des pilchards. Ce filet ne prend point le poisson, c’est au contraire le poisson qui s’y prend. Telle est en effet la dimension des mailles que le pilchard, peut aisément y introduire sa tête, mais qu’il ne peut plus ensuite la retirer, retenu qu’il est par les branchies comme par les barbes d’une flèche. Son ventre étant d’ailleurs trop gros et l’ouverture de la maille trop étroite, il reste suspendu et accroché à une muraille flottante. Il faut qu’il fasse nuit et que le filet soit invisible ou se confonde avec les flots comme un brouillard, pour que le poisson puisse être pris d’après une telle méthode ; les beaux clairs de lune et les phénomènes lumineux de la mer, par la même raison ne sont point favorables à cette pêche. Lorsque les eaux sont phosphorescentes, le filet brille à une grande profondeur comme une dentelle de feu. Dans ce cas, le pilchard s’alarme, soupçonne un piège, tourne à droite ou à gauche, et ne continue sa route que quand il a laissé derrière lui cette clarté de mauvais augure. C’est donc à la tombée des nuits sombres que de tels filets sont tendus dans la mer, où on les laisse dériver avec le courant.

Il est peu de spectacles plus intéressans que celui d’une petite flotte dépêche bien alerte, toute pimpante sous ses agrès, ses larges voiles brunes et carrées gonflées par un bon vent, s’éloignant au coucher du soleil sur les eaux frémissantes de la baie. Au commencement de l’été, les pilchards se tiennent à une assez grande distance du rivage, et il faut alors les poursuivre en mer. À mesure que la saison avance, ils s’aventurent au contraire plus près des côtes. Un proverbe de la Cornouaille dit que, quand le blé se couche sur les sillons, le poisson frétille sur le roc. Les bateaux pêcheurs ne s’éloignent guère alors à plus d’un mille du rivage ; beaucoup d’entre eux restent même dans la baie, dont les eaux pullulent en quelque sorte de matière vivante. Le soir où je surveillais les apprêts de cette pêche ; la mer était calme et comme absorbée dans sa magnificence sous les derniers rayons du soleil roulé à l’horizon dans un