Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Grecs, si prompts à l’exagération et toujours enclins à croire fait ce qu’ils désirent.

Les Turcs crétois sont d’ailleurs, d’habitudes et de manières, aussi peu Turcs que possible, et le voyageur est exposé à s’y tromper sans cesse. Les musulmans portent ici le même costume et parlent la même langue que les chrétiens. Accroupis autour d’une dame-jeanne de malvoisie, ils leur font raison, sans balancer, le verre à la main. Leurs femmes mêmes se montrent souvent non voilées, sinon aux étrangers, du moins aux hommes qu’elles connaissent. Quand nous logions dans la maison d’un Turc, les femmes sans doute ne venaient pas à nous : c’étaient les hommes de la famille qui allaient chercher les plats dans le harem et qui les en rapportaient ; mais que de fois j’ai vu de loin des Grecs entrer dans la maison des Turcs avec qui ils étaient liés, et les femmes les recevoir sur le seuil sans mettre leur voile ! Dans les champs, à la fontaine, nous avons rencontré souvent des femmes turques qui, prises à l’improviste, ne faisaient pas, comme elles l’auraient certainement essayé ailleurs, mine de détourner la tête ou d’aller se cacher derrière un arbre : elles restaient en face de nous le visage découvert, et fort tranquillement nous regardaient passer.

Les mariages entre Turcs et Grecs étaient fréquens avant la guerre de l’indépendance : il n’était pas facile à un chrétien de refuser sa fille à l’aga ou au bey qui la lui demandait ; mieux valait la donner pour éviter qu’on ne la prît. Les enfans étaient élevés dans l’islamisme, mais la femme conservait toute liberté de suivre les offices et de pratiquer sa religion. Depuis que le règne de la violence a cessé, ces unions sont devenues très rares, presque sans exemple. Les Turcs, souvent peu nombreux dans un canton et par là même plus bornés dans leurs choix, ne demanderaient pas mieux que d’épouser les belles Grecques qui abondent dans les villages de l’île ; mais les chrétiennes ne veulent pas entendre parler de s’unir à un musulman, et elles répondraient au besoin par le chant populaire qu’a déjà cité Fauriel, et qui se répète encore d’un bout à l’autre de l’Orient : « J’aimerais mieux voir mon sang — rougir la terre — que de sentir mes yeux — baisés par un Turc. » A peine, me disait-on, arrive-t-il tous les cinq ou six ans qu’une passion inspirée par un jeune Turc à quelque fille grecque amène une de ces unions, qui choquent et irritent vivement les chrétiens.

La race, chez les deux sexes, est en général saine et forte dans toute la Crète, mais surtout chez les habitans des Monts-Blancs, musulmans ou chrétiens. Les Turcs du district d’Abadia, sur les pentes méridionales de l’Ida, et ceux de Selino, dans l’ouest de l’île, les Grecs séliniotes et sfakiotes offrent à chaque instant des