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types qui feraient la joie du peintre et du sculpteur. Les Sfakiotes surtout sont taillés pour faire d’admirables soldats. Presque tous sont de très haute taille ; leur vigueur, que nous les avons vus déployer à la course et à la lutte, s’accuse plutôt par la surprenante agilité des mouvemens que par une musculature exagérée, tandis que ce dernier caractère m’a souvent frappé chez les Turcs de l’Anatolie. La plupart d’entre eux sont blonds, leurs longs cheveux tombent sur leurs épaules, ils ont de grands yeux clairs, le nez marqué sans être fort, la bouche fine, les dents brillantes et bien rangées ; on sent dans toute leur personne je ne sais quoi d’ardent et de nerveux qui fait songer au cheval pur sang. Leur costume est à peu près le même que celui des autres Crétois : il se compose d’une chemise à larges manches, d’un gilet bleu ouvert sur la poitrine, d’une veste brodée, d’une épaisse ceinture de laine rouge plusieurs fois enroulée autour du corps, d’un large pantalon bleu dont le bas se cache dans de grandes bottes de cuir jaune. Une épaisse capote blanche, dont le Sfakiote ne se sépare guère, complète ce, costume. Il est rare aussi qu’on le trouve sans sa longue carabine ; tout au moins, s’il l’a laissée à la maison, a-t-il gardé à la ceinture, par mesure de précaution, son grand couteau et ses lourds pistolets, toujours chargés jusqu’à la gueule.

Le costume des femmes ressemble fort à celui que portent les Albanaises d’Eleusis et des villages de l’Attique ou de la Béotie. Ce qui en forme le fond, c’est un caleçon de toile blanche par-dessus lequel tombe une longue chemise qui est de toile l’été, et de laine l’hiver ; elle est serrée à la taille par des cordons, et s’ouvre sur la poitrine par une fente que les jeunes filles seules prennent quelque soin de tenir close. Dès que la Crétoise est mariée, comme il y a presque toujours quelque enfant à nourrir, elle ne se donne pas la peine de rattacher des agrafes que la main se lasserait à défaire et à rajuster sans cesse. L’habitude une fois prise, on la garde, et Tournefort remarquait déjà « que l’habit des dames de Crète est très simple et qu’il leur laisse le sein tout découvert. »

En attendant le moment où elles seront nourrices, les femmes grecques, presque toujours jolies, quoi qu’en dise Tournefort, et souvent fort belles, font naître chez les jeunes gens de vives passions, qui ont inspiré toute une poésie amoureuse propre à la Crète, celle des madinadœs ou quatrains chantés en dansant. Nous en donnerons quelques échantillons, pris un peu au hasard parmi ceux que nous retrouvons dans nos notes de voyage, tels que nous les dictaient en riant, à Sfakia, jeunes filles et jeunes gens. On y trouvera, je l’espère, quelques traits qui ne manquent point de charme et de grâce. Voici d’abord les plaintes d’un amant malheureux :