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« Mon cœur, ma pensée, ne visent qu’à toi, et je reste immobile et privé de sens, écoutant si j’entendrai prononcer ton nom.

« Mon cœur est fermé, comme la nuit la grande porte de Khania, et il ne s’ouvrira plus, il ne sourira plus, comme il souriait autrefois.

« Hélas ! j’ai perdu le sens pour l’amour d’une fille, grecque, que j’ai aperçue une fois seulement à sa fenêtre l

« Je t’aime, ô mes yeux, et personne ne s’en aperçoit, et de l’amour que tu m’as inspiré, puisse Dieu me délivrer !

« Tes yeux brillans, lorsque tu les tournes de mon côté, des étincelles me volent au visage, des étincelles qui me piquent et me brûlent ! »


Voici maintenant les images que trouve le poète pour peindre à lui-même et aux autres la beauté de sa maîtresse, voici les cris de joie et les langueurs de l’amour heureux :


« O toi que je chéris, tu es élancée comme le cyprès, et, quand tu parles, de ta bouche tombent des mots doux comme le miel.

« Le fleuve entraine des branches, et la mer des navires, et le regard de la vierge que j’aime entraîne les pallikares.

« Je sens l’odeur du basilic, et je ne vois pas le vase où il fleurit ; c’est mon amie qui l’a dans son sein, et c’est de là que vient ce parfum.

« Tes yeux sont noirs, tes cheveux sont blonds, et la neige de nos cimes est noire en regard de toi, ô mon amie.

« J’ai parcouru tout l’univers, j’ai parcouru un à un tous ses villages, et nulle part je n’ai rien vu, je n’ai rien rencontré d’aussi beau que mes amours.

« J’ai parcouru tout l’univers, pour trouver un doux raisin ; mais je n’en ai pas trouvé un aussi doux que ta lèvre.

« Ta lèvre rose, je suis venu pour la baiser ; mais arrêtons-nous : ce vin, j’ai peur qu’il ne m’enivre.

« Mets du miel dans le verre, pour qu’il fonde et que nous buvions, afin que notre lèvre soit douce quand nous nous embrasserons.

« Mon jasmin élancé, ma rose de Sitia, ta beauté même, la lointaine Venise en a entendu parler.

« Ta beauté enflamme les pachas, tes sourcils enflamment les vizirs, les charmes de ton corps angélique les patrons de navires.

« Ah ! si je pouvais, une fois seulement, mettre ma main dans ton sein de marbre, — puis mourir ! »


N’ya-t-il pas là une riante imagination, une veine heureuse et originale ? n’y a-t-il pas surtout bien de la sincérité et de la passion ? Ce que la traduction ne peut rendre, c’est la légèreté du tour, ce sont les mots vifs et colorés empruntés au meilleur fonds de l’ancienne langue, ce sont tous ces gracieux composés qui sortent sans effort de l’instinct populaire. L’idiome dans lequel sont écrites ces poésies est intéressant aussi à un autre point de vue ; c’est ce dialecte