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rité, et bien faite pour soutenir l’homme dans ses jours d’angoisses et de douleurs !

Ainsi songeait Dévadatta, en proie au découragement. Il écrasait sous ses pieds avec une colère concentrée les petits insectes qui se mouvaient dans l’herbe, comme si ces pauvres êtres étaient responsables du dogme de l’anéantissement final tant prôné par les djaïnas. — Mourez, disait-il avec un sourire ironique, mourez, créatures informes, pour renaître encore; en vous détruisant ainsi, je hâte le moment de votre délivrance !

Et il allait toujours, suivant le bord du ruisseau profond et encaissé qui roulait au milieu des pierres ses eaux écumeuses. Une solitude profonde l’environnait, la nuit s’étendait sur les campagnes coupées de buissons arrondis et de palmiers élancés, dont les panaches, agités par la prise, semblaient autant d’oiseaux battant de l’aile. Les chacals commençaient à glapir autour des villages; c’était l’heure où une vague terreur s’empare de l’esprit des timides Hindous, et Dévadatta, qui cherchait à s’élever par la pensée au-dessus de ce monde de misères en sondant les problèmes de la vie et de la mort, éprouvait, lui aussi, une secrète épouvante. Tout à coup des feux de joie éclatèrent du milieu des pagodes que renferme l’étang de Combaconam, et des cris joyeux se firent entendre : on célébrait la grande fête du solstice d’hiver, la fête du Pongol. Le mois qui précède cette époque si vivement attendue, mois entièrement composé de jours néfastes, venait enfin de s’achever, et les Hindous, délivrés des craintes qui les avaient assiégés durant ces terribles semaines, s’abandonnaient à la plus bruyante allégresse. Le premier des trois jours consacrés à cette fête, on se visite, on se fait des présens; ce ne sont partout que divertissemens et plaisirs.

— Il y a donc des gens heureux, des gens qui s’amusent dans ce monde de douleur et d’ennui? se dit Dévadatta en se dirigeant vers le village. Une nouvelle année va commencer, qu’y a-t-il donc là de si réjouissant?

Il se mit à parcourir le village, et l’aspect des visages rayonnans de bonheur lui fit faire un retour sur lui-même. Deux fois j’ai connu la joie, pensa-t-il, dans l’austérité et dans les plaisirs, auprès du père Joseph et dans les pagodes de Chillambaram, dans le bien et dans le mal... L’homme peut donc se lasser de tout, de la vertu et du vice?... Aujourd’hui toutes ces démonstrations me fatiguent et m’irritent. Je n’ai plus de famille, je suis sans amis ; aucun lien sérieux ne m’unit au pourohita, qui a voulu m’attacher à lui par un mensonge; celui qui m’unissait à mon premier maître et aux gens de Tirivelly est à jamais rompu... Sur cette terre de l’Inde, qui est ma patrie, me voilà seul...

Ces amères réflexions lui arrachèrent quelques larmes; quand