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Tristany, qu’il avait chargé de cette tâche difficile. C’était au général Chiavone que Tristany devait avoir affaire. Désespérant d’exercer jamais quelque ascendant sur cet homme inculte, sur ce bandit incorrigible, qui brigandait jusque dans les états du pape, il le fit juger militairement et fusiller. Cet acte de justice lui valut beaucoup d’ennemis dans la bande, même à Rome, et l’officier espagnol dut abandonner la partie[1].

Que conclure de ces expériences faites avec Tristany et Borjès ? C’est que le brigandage militaire n’a rien de redoutable. Il est permis de sourire de ces équipées de légitimistes qui arrivaient en voiture jusqu’aux frontières, et les franchissaient étourdiment l’épée à la main. C’était sans doute un vif crève-cœur pour les Piémontais (ainsi qu’on les appelle à Rome) d’être attaqués chez eux à tout moment par des poignées d’étrangers qui leur tuaient quelques hommes et se sauvaient ensuite impunément dans les états romains, où il leur était permis de rentrer, mais où il était défendu de les suivre, si bien que les soldats de l’Italie devaient revenir sur leurs pas quand ils étaient arrivés à la frontière et reculer comme des vaincus devant les fuyards. Malgré cette humiliation, si l’armée italienne n’avait rencontré d’autres bandes sur son chemin que celles qui venaient de Rome, le brigandage eût été détruit d’un coup, dès la première année, par la vigoureuse répression du général Pinelli. Par malheur il n’en est point ainsi : les étrangers, les partisans, on ne le répétera jamais assez, car il s’agit de détruire une erreur très répandue non-seulement en France, mais en Italie, ne ressemblaient d’aucune sorte et n’étaient attachés par aucun lien sérieux aux brigands de l’ancien royaume de Naples ; ils ont tous été battus, chassés, détruits en quelques rencontres ; ils n’ont fait que passer dans le pays. Le vrai brigandage, celui qui persiste et qui reste, est indigène. Ce n’est pas une guerre de partisans, c’est une guerre de paysans. Il faut donc quitter les frontières et s’enfoncer dans l’intérieur de l’ancien royaume pour étudier cette anarchie permanente qui trouble depuis trois ans plusieurs provinces dans l’Italie du

  1. Je tiens d’un général italien que Tristany était un vieux soldat, très sensé, très ferme : il essayait sérieusement de discipliner les bandes. Il n’y réussit point ; mais l’insuccès ne l’avait jamais découragé. On lui attribuait ce mot généreux : « quand on a juré de défendre une cause aux jours heureux, c’est un crime de l’abandonner, fùt-elle perdue. » Il était en perpétuel mouvement le long de la frontière. Il fit sonder plusieurs fois le Liri (rivière qui sépare les deux états) pour chercher un endroit guéable, mais il ne le traversa jamais. Un jour, une vingtaine d’hommes commandés par un Espagnol poussèrent une reconnaissance jusqu’au Monte-Cesima ; mal vêtus, mal armés, ils furent battus ; quelques-uns restèrent prisonniers ; deux d’entre eux portaient des brevets d’officiers tout neufs délivrés au nom de François II par « Tristany, maréchal-de-camp de sa majesté sicilienne. »