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cette dispersion farouche, et des rivalités haineuses qui durent encore, qui comptent parmi les principales causes du brigandage, se substituaient à ces relations d’intérêts et de famille qu’on voit s’établir dans d’autres pays entre les villages voisins. Chaque commune du royaume ressemblait à une forteresse et presque à un couvent où la population se trouvait confinée. Que pouvait-on espérer d’une claustration pareille, où rien ne pénétrait pour éclairer ces foules inertes? Le roi Ferdinand l’a écrit de sa propre main, il ne voulait pas d’écoles primaires dans les endroits habités par de simples paysans. Voilà pour les villages; mais que dire des campagnes où les bergers nomades vivaient seuls, bestialement, au milieu de leurs troupeaux, et passaient ainsi des saisons entières sans trouver une âme vivante à qui parler?

L’ignorance est sans doute une plaie grave; une autre, plus profonde, est la misère. Le paysan, le cafone, comme on l’appelle par dérision, est d’une pauvreté qui révolte. — Dans les Pouilles par exemple, à Foggia, à Cerignola, à San-Marco in Lamis, existe une classe infime de prolétaires qu’on appelle les terrazzanî, gens sans feu ni lieu qui, s’ils ne volaient pas, ne pourraient pas vivre. « Dans la seule ville de Foggia, dit M. Massari, le nombre des terrazzani s’élève à plusieurs milliers d’hommes. Grande culture, aucun fermier et beaucoup de misérables qui ne savent où trouver leur pain... — Les terrazzani et les cafoni, nous disait le directeur des domaines de Foggia, ont du pain de telle qualité que les chiens n’en mangeraient pas... » Je pourrais ajouter qu’aux environs de Naples j’ai connu des ouvrières pour qui le pain même était un mets de luxe. Or les classes pauvres odieusement exploitées par les classes riches couvent une haine profonde contre les galantuomini, c’est-à-dire contre les bourgeois. Cet antagonisme est surexcité dans certains endroits par des abus qui datent de loin, par tout ce qui reste, en un mot, de la féodalité mal détruite. Lorsqu’on abattit les grands barons et qu’on morcela leurs baronies, le partage de ces propriétés, improvisé dans un moment de crise et suspendu sans être fixé définitivement, donna lieu à des usurpations et par suite à des procès qui durent depuis un demi-siècle. Les propriétaires, les prêtres, les communes, les villages entre eux, se disputent depuis lors des lambeaux de terrain auxquels ils ont tous quelque droit; les paysans surtout, à qui l’on avait promis depuis longtemps, à qui l’on promet toujours le partage des biens communaux, demandent que la cour quelle qu’elle soit, tienne enfin cette promesse. Lorsque la commission parlementaire envoyée pour étudier le brigandage parcourut en février 1862 les provinces napolitaines, les campagnards lui criaient partout en la voyant passer : « Nous voulons des terres! » Et ils avaient raison, ces pauvres serfs non encore affranchis dans