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Ceux qui restent suivent leur exemple : vieillards, enfans, paysans, bourgeois, tout ce qu’ils rencontrent, ils le tuent sans pitié; s’ils trouvent une femme sur leur chemin, ils lui sautent à la gorge et l’étranglent. Caruso frappa un jour de sa main avec un rasoir dix-sept pauvres paysans qui ne lui avaient rien fait. Interrogé sur le motif de cette cruauté, il répondit : « Pour faire peur aux autres! »

Voilà les hommes de la réaction; tournons-nous maintenant vers ces soldats italiens qu’on traite à leur tour de brigands, et qui se livrent à une chasse ingrate, pleine de fatigues et de périls, sans repos ni trêve, avec des alertes continuelles, des courses incessantes dans les ravins, dans les broussailles, des escalades effrayantes sous un soleil de feu, avec de longues nuits dans la neige et dans la boue. Veut-on des chiffres désolans pour apprécier les joies de ces « bourreaux » qui excitent tant de colères : un colonel commandait l’an dernier 1,800 hommes en Capitanate; il avait quelquefois 500 hommes malades à la fois. Chaque compagnie aurait dû se composer de 100 fusiliers, mais n’en fournissait que 35 au plus capables de marcher. Dans un seul mois périrent exténués 3 officiers et 80 soldats. Les hôpitaux manquaient; pendant des mois entiers, les malades eux-mêmes ne purent ni quitter leurs vêtemens, ni seulement coucher sur un peu de paille. Ce régiment avait un périmètre décent milles de circonférence à garder, sans compter les prisons de Lucera, où veillaient continuellement 60 hommes. Une nuit, le nombre des malades s’accrut à tel point qu’il fallut mettre les tambours et les trompettes en sentinelle devant ces prisons. Dans le temps des semailles et des moissons, les soldats devenaient gardes champêtres et passaient leurs nuits dans la campagne. Cependant les marches sans fin, les perquisitions, les battues, les escarmouches, les embuscades, la petite guerre en un mot, cent fois plus pénible que la grande, continuait de l’aube au soir et du soir à l’aube, sans un moment de relâche, du printemps jusqu’à l’hiver. Et ce que faisait ce régiment, toute l’armée devait le faire aussi : plus de 65,000 hommes, parmi lesquels 5,000 malades, étaient en mouvement au printemps de 1863, partagés en zones et en sous-zones fractionnées en subdivisions et en détachemens, dont chacun avait sa liberté d’action et sa responsabilité personnelle : tous ainsi, sur tous les degrés de la hiérarchie, depuis le dernier fusilier jusqu’au commandant suprême, étaient chargés d’une lourde tâche, sous laquelle ils n’ont jamais fléchi, A la tête de ces troupes excellentes, dont l’organisation est en grande partie son œuvre, le général Alphonse de La Marmora, qui s’était habitué, sur d’autres champs de bataille, à combattre des ennemis plus dignes, et qui, après une longue carrière noblement parcourue, élevé aux premières