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traverser, ou plongé dans l’étude de la philosophie et des lettres. La littérature le console, et la politique l’afflige presque toujours ; mais, cela soit dit en son honneur et pour servir de leçon à tous ceux qui tiennent une plume, l’une ne lui fit jamais oublier l’autre.

Depuis son retour de l’exil, la situation politique de Cicéron était bien abaissée : il était rentré à Rome par la protection de Pompée et par le pardon de César ; Clodius le menaçait et l’effrayait toujours. Cicéron se voyait forcé à bien des complaisances pour se ménager l’appui de deux hommes dont il avait eu à se plaindre et dont il avait besoin. Dans la première ardeur du succès, il l’avait pris d’assez haut : il était allé au Capitole arracher les tables de bronze sur lesquelles étaient gravées les lois de Clodius ; il avait en toute occasion célébré à pleine voix sa conduite dans l’affaire de Catilina, ce qui ne pouvait plaire à César ; il avait traité avec la dernière violence Vatinius, un de ses instrumens ; il avait pris part au Projet de révoquer la loi agraire de Campanie. Bientôt pourtant cette belle ardeur s’était refroidie, et pendant la discussion de cette loi il avait fait comme il faisait volontiers toutes les fois que son rôle dans la curie l’embarrassait : il était allé visiter ses villas. Cette fois il avait éprouvé tout à coup le besoin d’arranger sa bibliothèque d’Antium. Enfin il se rapprocha décidément de son ancien persécuteur. Dans le discours sur les provinces consulaires, Cicéron demanda qu’on laissât la Gaule à César, et profita de cette occasion pour se réconcilier avec lui en plein sénat, ce qui était se donner, après lui avoir envoyé un poème en son honneur composé en grand secret à la campagne, et dont l’auteur avait fait mystère même à son fidèle Atticus.

La situation de Pompée n’était pas meilleure que celle de Cicéron. Cette intendance des vivres qu’on lui avait accordée pour cinq ans n’était point ce qu’il lui fallait ; elle ne servait qu’à le rendre aux yeux de la foule responsable de la disette et de la hausse du prix des blés. Il aurait voulu un grand commandement ; mais cette proposition, mise en avant par un tribun de ses amis, déplut tellement au sénat, dont la défiance croissait toujours, que Pompée fut obligé de la désavouer. Pour avoir une flotte et une armée, il désirait être chargé de replacer sur le trône d’Egypte Ptolémée Auletès, que son frère en avait chassé. Ce roi fugitif demeurait dans la villa albaine de Pompée ; il y tenait un comptoir de corruption, empruntant pour acheter les sénateurs. Un jour, il prit la fuite, tandis que Pompée était en Sicile occupé à surveiller des envois de grains, et probablement d’accord avec lui ; mais l’on découvrit que les livres sibyllins défendaient la guerre, et Pompée dut renoncer à la faire. Il retrouvait Clodius toujours menaçant, le sénat toujours mal disposé. Il