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à la tendresse et à la joie. Cette belle journée, pleine d’éclats et de parfums, donnait un démenti à ses craintes et l’accusait de folie. Il eut hâte d’être heureux et pressa le pas. Il distinguait de loin, à demi cachée dans un parc, la maison de M. Herbin. Bientôt, sur une petite éminence, à l’extrémité d’une longue allée, il vit Hermance en robe blanche, coiffée d’un chapeau de paille dont les brides flottaient au vent. Elle lui faisait signe avec son mouchoir ; il lui répondit de même. Quelques instans plus tard, il la rejoignait et lui serrait les mains avec émotion. Elle était si jolie sous son frais costume qu’il ne se lassait point de l’admirer. Il avait peur que M. et Mme Herbin, qui se promenaient à l’autre bout de l’allée, ne vinssent le troubler ; mais Hermance fit à ses parens un geste amical et mutin, et entraîna en riant son fiancé sous les arbres. — Eh bien ! lui dit-elle, êtes-vous content ?

Ils eurent alors une intime causerie à demi attendrie, à demi joyeuse. C’étaient des projets pour l’avenir et déjà des retours vers le passé, car tous deux se vantaient de s’être aimés longtemps avant de se connaître ; puis Hermance gronda Jacques de la tristesse qu’elle avait quelquefois remarquée en lui.

— Vous ne serez plus ainsi désormais, lui dit-elle, car ce vilain homme est enfin parti.

— Je ne pensais plus à lui, répondit Jacques, et je n’y penserai plus jamais, je vous le jure.

Ils entendirent la cloche du dîner et revinrent en se donnant le bras. L’on s’était mis gaîment à table, lorsque le domestique annonça M. de Girard. Ce fut un coup de foudre pour Jacques. Il pâlit, et Hermance ne put s’empêcher de trembler. M. Herbin alla avec empressement au-devant de son hôte.

— Mon cher ami, disait M. de Girard, je pars demain, et je ne croyais pas pouvoir vous faire cette dernière visite ; mais il m’est arrivé quelques heures de liberté, et j’en ai aussitôt profité.

Il s’assit, mais avec une attitude singulière. Il était placé vis-à-vis de Jacques, et fréquemment l’examinait à la dérobée. Sa physionomie trahissait une curiosité inquiète, très éveillée et cherchant avec obstination à se satisfaire. Évidemment les paroles banales qu’il avait prononcées en entrant étaient un prétexte à sa visite. On l’eût dit amené malgré lui dans cette maison par l’irrésistible désir de savoir enfin à quoi s’en tenir sur le compte de cet homme dont il était haï, qu’il haïssait lui-même. Certes Jacques était pour lui une irritante énigme autant qu’il en était une pour Jacques. Achille, sans deviner quel but se proposait M. de Girard, ne se sentait pas à l’aise. Il savait trop qu’en s’acquittant le matin du message de Jacques, il ne s’était que très imparfaitement conformé aux intentions