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ravisseur au fond de l’abîme, non repentante malgré tout, je le crains, et heureuse jusque dans sa faute de se perdre à jamais avec lui.

Qu’est-ce que tout cela prouve? dira un géomètre ou même un moraliste. Rien sans doute; ou tout au plus un moraliste satirique, un auteur de contes et de fabliaux dirait, en tirant à soi, que cela prouve une seule chose, ce que Pope et tant d’autres avant lui ont dénoncé il y a beau jour, que toute femme est plus ou moins friponne dans le cœur et que la plus pure a un faible pour les mauvais sujets. Mais loin d’ici de pareilles malices! il s’agit bien vraiment de plaisanter! Les poètes romantiques de 1824 ne plaisantent pas, ils n’ont pas le plus petit mot pour rire; et M. de Vigny moins encore que personne. Qu’a-t-il donc voulu ce poète sérieux, exemplaire, dans ce mystère rajeuni et renouvelé? Encore une fois rien, si ce n’est faire acte de haute poésie. Mais aussi que de beaux tableaux! que d’admirables comparaisons! que de couplets majestueux ou pleins de grâce! Éloa, dans ses courses rêveuses à travers les mondes et les déserts étoiles, prenant l’essor avec ses jeunes ailes, est comparée au colibri qui sort tout nouvellement du nid et qui voltige à travers les forêts vierges. Je rappelle, pour ceux qui le savent moins, ce que tous nous savions par cœur autrefois :

Ainsi dans les forêts de la Louisiane,
Bercé sous les bambous et la longue liane,
Ayant rompu l’œuf d’or par le soleil mûri,
Sort de son nid de fleurs l’éclatant colibri;
Une verte émeraude a couronné sa tête,
Des ailes sur son dos la pourpre est déjà prête,
La cuirasse d’azur garnit son jeune cœur;
Pour les luttes de l’air l’oiseau part en vainqueur,..
Il promène en des lieux voisins de la lumière
Ses plumes de corail qui craignent la poussière;
Sous son abri sauvage étonnant le ramier,
Le hardi voyageur visite le palmier.
La plaine des parfums est d’abord délaissée.
Il passe, ambitieux, de l’érable à l’alcée...

Et le reste. Vous avez tous les noms d’arbres les plus harmonieux, les plus doux à l’oreille. C’est éblouissant de ton, de touche, et d’une magnificence élégante que la poésie française n’avait point connue jusqu’alors. — Et au chant II, cette autre comparaison d’Éloa se mirant dans le chaos avec la fille des montagnes se mirant dans un puits naturel et profond où l’eau pure amassée réfléchit les étoiles : elle s’y voit, comme dans un ciel, le front entouré d’un brillant diadème. — Et dans le même chant, cette comparaison encore (car les comparaisons ici se succèdent et ne tarissent pas) de