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l’abondance et les bas prix, Delamare ajoute naïvement : « Par toutes ces diligences, le prix du blé tomba à Paris, dix jours après le départ des commissaires, de 54 livres le setier à 36, deux jours après à 32, dans la même semaine à 28, et au bout d’un mois à 20 livres. Cette diminution continua toujours jusqu’à la Saint-Martin, que le plus beau blé ne se vendoit plus que 15 et 16 livres, et ce fut ainsi que finit cette disette apparente et cette véritable cherté qui avoit duré près de deux ans. » Ce fut ainsi, ajouterai-je, et telle est la leçon à tirer de ce triste épisode, ce fut grâce à ces appréciations erronées et à cette malheureuse disposition à nier le mal et à persécuter ceux dont il aurait fallu au contraire stimuler les efforts, que de nouvelles disettes, plus cruelles que les précédentes, vinrent en 1698, en 1699 et surtout en 1709, mettre à une rude épreuve le successeur de La Reynie, et, ce qui était bien plus fâcheux encore, faire peser sur les populations affamées des misères que d’autres principes et d’autres erremens leur auraient épargnées, du moins en partie.


IV.

Si, aux prises avec la plus grave difficulté économique, La Reynie s’était montré, comme tant d’autres, inférieur à cette lourde tâche, il retrouvait sa vigueur morale dans les affaires qui ne réclamaient que le zèle et la vigilance du juge, dans celle des poisons par exemple, qui a déjà été pour nous l’objet d’une étude spéciale[1]. D’autres procès, des procès politiques, ou, comme on disait alors, pour crime de lèse-majesté, troublèrent par intervalles la longue quiétude du règne de Louis XIV. Dans quelques-uns, comme celui du chevalier de Rohan, La Reynie joua un rôle important, que sa correspondance éclaire d’un jour curieux et tout nouveau. Quelques détails sur les conspirations des premiers temps du règne nous aideront à faire mieux apprécier le caractère du tragique événement où l’intervention de La Reynie fut prépondérante.

Entourées, l’on s’en doute bien, d’un mystère impénétrable, la plupart des conspirations contre la personne ou l’autorité du roi s’éteignaient d’ordinaire dans les sombres profondeurs des prisons d’état. Quelquefois pourtant elles faisaient explosion et venaient finir en place de Grève. La première remonte à 1659. Se rappelant une promesse solennelle faite pendant la fronde à un moment où l’on avait besoin de son appui, la noblesse de Normandie, d’Anjou, du Poitou, rêvait la convocation des états-généraux; mais le péril était loin, et Mazarin avait complètement oublié les engagemens de 1651. Pour ôter toute illusion à la noblesse, un arrêt du conseil du

  1. Voyez la Revue du 15 janvier.