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pythagoricienne, sortie d’une école mystique, se répandit et fut adoptée par les autres sectes. Le bon Horace, moins léger qu’on ne pense, et qui avait aussi ses heures sérieuses, faisait à sa manière son examen de conscience, lorsque, dans son fit ou dans ses promenades solitaires, il songeait à se rendre meilleur, et se grondait doucement en homme du monde qui voudrait être honnête et en épicurien qui voudrait être sage. Un philosophe plus sévère, un des maîtres de Sénèque, Sextius, se confessait lui-même tous les soirs, se demandait un compte exact de ses journées, et procédait à un interrogatoire de criminel. Sénèque nous a laissé un charmant tableau où il se met en scène, remplit envers lui-même les fonctions de juge, et se cite à son propre tribunal. « Quand on a emporté la lumière de ma chambre, que ma femme, par égard pour ma coutume, a fait silence, je commence une enquête sur toute ma journée, je reviens sur toutes mes actions et mes paroles. Je ne me dissimule rien, je ne me passe rien. Eh ! pourquoi craindrais-je d’envisager une seule de mes fautes, quand je puis me dire : Prends garde de recommencer ; pour aujourd’hui, je te pardonne ? » Bien des âmes éprises de perfection morale ont dû imiter les philosophes de profession. Il faut que la coutume soit devenue assez générale alors, puisque le mordant Épictète, dans une spirituelle parodie, nous fait assister à l’examen de conscience du courtisan qui s’est proposé un idéal de bassesse comme un honnête homme se propose un idéal de vertu, qui s’interroge et se gourmande lui-même en voyant que son âme n’est point parfaite encore, c’est-à-dire entièrement conforme aux lois de la servilité. « Qu’ai-je omis, se dit-il, en fait de flatterie ?… Aurais-je par hasard agi en homme indépendant, en homme de cœur ? » Et s’il se trouve qu’il s’est conduit de la sorte, il se le reproche, il s’en accuse. « Qu’avais-tu besoin de parler ainsi ? se dit-il ; ne pouvais-tu pas mentir[1] ? » Ironie bien piquante, mais qui eut été incompréhensible, si cette peinture d’un examen de conscience fait à rebours n’avait été une allusion à un usage très connu. Enfin on vit par un illustre exemple, par le livre de Marc-Aurèle, quelles pouvaient être les pensées d’une âme païenne recueillie en face d’elle-même, quels scrupules nouveaux tourmentaient les consciences, et de quel ton l’on s’encourageait à la perfection morale.

Cependant, si l’on veut pénétrer dans ce livre si simple, il faut le lire avec simplicité, écarter les discussions philosophiques, ne pas regarder au système qu’il renferme. On fait tort à Marc-Aurèle quand on rajuste en corps de doctrine ces pensées décousues, et que de

  1. Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien, traduction nouvelle par M. Courdaveaux.