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âge mûr, il rappelle tout ce qu’il doit à chacun de ses maîtres. De leurs leçons il n’a retenu que le profit moral. A son gouverneur il est redevable de ne pas craindre la fatigue; Diogenète le peintre, qui sans doute était un libre penseur, lui a donné le mépris de la superstition et la force qui fait supporter chez les autres la franchise du langage; Rusticus l’a éloigné des sciences purement spéculatives et l’a mis en garde contre la rhétorique; il lui a prêté le livre d’Épictète : grand événement, à ce qu’il paraît, dans la vie de Marc-Aurèle, puisque l’empereur, après tant d’années, croit devoir, pour ce service, témoigner tant de reconnaissance. Ce qu’il aime surtout à se rappeler de ses maîtres, ce sont leurs qualités personnelles et leurs exemples, qui l’ont encore plus touché que leurs leçons. Patience, fermeté ou égalité d’âme, douceur, bienfaisance, droiture, vertus de philosophe et d’homme du monde, voilà ce qu’il se représente en eux avec une complaisance encore émue, voilà ce qu’ils lui ont appris. On a eu le courage de dire que cet hommage si naturel et si cordial de la reconnaissance envers ses parens et ses maîtres n’est que l’expression méditée de la vanité qui s’admire et de l’orgueil qui contemple et veut faire contempler aux autres ses propres perfections. Il faut être bien prévenu contre cette âme sincère qui, selon nous, bien loin de vouloir se parer de ses vertus, se dépouille au contraire de ses mérites pour les attribuer à ceux dont il n’a été que l’imitateur et le disciple. Un Marc-Aurèle qui a vécu au grand jour sur les hauteurs d’un trône, sous les yeux de tout l’empire, dont les maximes et la conduite conforme à ses maximes étaient connues et célébrées dans le monde entier, aurait-il eu besoin de recourir à ce détour misérable de la vanité et de se décerner à lui-même, avant de mourir, des louanges que personne ne songeait à lui refuser? N’est-ce pas lui qui a dit : « La fausse modestie est la forme la plus insupportable de l’orgueil! » Tant de simplicité dans un stoïcien et un prince peut étonner sans doute; mais faut-il donc se défier des sentimens d’un homme parce qu’ils sont exquis? et la grandeur d’âme doit-elle être suspecte parce qu’elle est humble?

Si nous apercevions dans cet examen de conscience la moindre trace de vanité, nous n’aurions plus le courage de toucher à ce livre; mais rien n’est plus contraire à ce soupçon que la vie de Marc-Aurèle et son caractère connu. Tout enfant, quand il portait encore le nom de son aïeul Verus, on remarquait déjà sa bonne foi, et l’empereur Adrien faisait sur son nom un gentil jeu de mots et l’appelait Verissimus. Plus tard, entouré, selon l’usage antique, de rhéteurs savans dans l’art d’orner les pensées, il se félicite de ne pas s’être laissé prendre à l’élégance affectée du style, et remercie