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Maurice, M. J. Lambert, avait eu occasion de rendre d’importans services au prince Rakoute, fils de la reine Ranavalo. Le prince, proclamé roi le 18 août 1861, à la mort de sa mère, sous le nom de Radama II, n’avait pas oublié les services rendus, et par une charte privée, qu’il avait ensuite solennellement signée et reconnue, il avait concédé à M. Lambert les mines, les forêts, les terres en friche de son royaume, avec le droit d’ouvrir des routes, des canaux, d’établir des ports, de fonder des usines, et même de battre monnaie. Dans un élan de patriotique abandon, M. Lambert avait remis sa charte entre les mains de l’empereur des Français, qui, désireux peut-être de voir une fois au moins dans notre pays l’initiative individuelle abandonnée à ses propres forces, avait voulu qu’une société libre de colonisation se formât à Paris. Une compagnie anonyme s’était en effet constituée comme par enchantement, ainsi que jadis son aînée la Compagnie française des Indes orientales et elle comptait parmi ses membres des hommes cités à juste titre comme des plus notables dans l’industrie et la finance. Un gouverneur avait été nommé par décret : c’était le baron P. de Richemont-Desbassayns, dont la famille a laissé de si brillans souvenirs dans l’administration de nos colonies de l’Inde. Jalouse de tirer le parti à la fois le plus prompt, le plus fructueux, de toutes les richesses naturelles accumulées sur le sol madécasse et pour la plupart encore vierges, la compagnie de Madagascar avait confié à quelques personnes choisies par elle le soin d’aller visiter la grande île. J’avais l’honneur d’être du nombre des heureux élus envoyés vers ce curieux pays, et je voudrais retracer ici quelques incidens de notre voyage, quelques scènes de mœurs, donner quelques détails sur les productions de l’île, qui serviront sans doute à faire pressentir quel peut être l’avenir de Madagascar comme théâtre de colonisation.


I.

La frégate française l’Hermione attendait dans les eaux de Suez la mission de Madagascar. Quelques retardataires vinrent la rejoindre à Aden le 10 juin, et nous fûmes bientôt au complet. Ingénieurs des mines, agens des ponts et chaussées, sériciculteurs, médecins, agens forestiers et commerciaux, photographes, fondeurs, maîtres mineurs, les uns au carrê des officiers, les autres avec les maîtres apportaient à ce navire hospitalier un contingent de quatorze passagers, sans compter les voyageurs déjà inscrits. Malheureusement, comme sur un bâtiment de guerre le plus petit coin a sa destination marquée d’avance, et que la frégate, pour parler le langage des marins, n’était pas un transport, aucune disposition n’avait été prise