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trigues de cour, et cet enfant qui vient de naître lui sera précisément un moyen de se rappeler au souvenir de l’électeur de Saxe.

L’enfant de Frédéric-Auguste et d’Aurore de Kœnigsmark ne resta pas longtemps à Hambourg; il fut conduit à Berlin, où il acheva ses mois de nourrice, et de là dans la capitale du nouveau royaume de son père. C’est en 1697 que l’électeur Frédéric-Auguste fut nommé roi de Pologne; c’est au commencement de l’année 1698 que le jeune Maurice est amené à Varsovie sous la direction d’un valet de chambre dévoué à la comtesse. En 1703, nos documens nous le montrent à Breslau, et un peu plus tard à Leipzig. L’année suivante, le roi de Pologne, lui ayant assigné pour son éducation une rente annuelle de 3,000 thalers, l’envoie en Hollande avec un gouverneur, M. Delorme, et un sous-gouverneur, M. d’Alençon, braves gens qui ne s’entendent guère et qui entravent plus qu’ils ne secondent l’instruction de leur élève. Heureusement, tout rebelle qu’il est à l’étude, l’enfant est doué de facultés précieuses. « M. le comte a toutes les inclinations belles, » écrit Delorme au roi de Pologne.

Au milieu de ces pérégrinations de l’enfant, il ne faut pas oublier les faits qui les expliquent. C’était l’époque où des événemens terribles bouleversaient les états du roi de Pologne. Ces années où le jeune Maurice est conduit de Breslau à Leipzig et de Leipzig en Hollande sont des années d’épreuves pour Frédéric-Auguste. Charles XII, vainqueur des Danois et des Russes, venait de tourner ses armes contre la Pologne, et, profitant de la situation de ce pays avec une habileté politique dont il ne paraissait pas se soucier jusque-là, épiant les intentions hostiles de la noblesse, fomentant les mauvaises dispositions du peuple et du clergé, il concevait le dessein de détrôner Frédéric-Auguste pour donner son royaume à un souverain de son choix. Voltaire a raconté le rôle d’Aurore de Kœnigsmark en ces conjonctures périlleuses. Elle se présenta un jour, la belle et brillante aventurière, au camp du farouche Charles XII, espérant le réconcilier avec le roi Auguste ; mais en vain déploya-t-elle tous les agrémens de son esprit, en vain adressa-t-elle au vainqueur des vers spirituellement flatteurs qui eussent été pour tout autre prince de ce temps une sorte de provocation galante : le Suédois était invulnérable. Est-il vrai que la comtesse, « parmi les perfections qui la rendaient une des plus aimables personnes de l’Europe, eût le talent singulier de parler les langues de plusieurs pays qu’elle n’avait jamais vus avec autant de délicatesse que si elle y était née ? » Est-il bien sûr que ses vers français, car elle en faisait quelquefois, eussent pu être attribués à quelque bel esprit de Versailles? Voltaire l’affirme, et je le croyais volontiers en me rappelant les vers, cités par lui, qui terminent le poétique placet d’Au-