Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se faisait par l’imagination le contemporain des temps « où les bœufs mugissaient sur le Forum et dans le riche quartier des Carènes. » Personne n’a mieux représenté les sauvages compagnons de Romulus que ne l’a fait Properce en deux mots, lorsqu’il dit : « Cent pâtres dans un pré, c’était tout le sénat. » En revanche, les historiens ne comprenaient pas grand’chose à ces temps primitifs. Je ne parle pas de Denys d’Halicarnasse, qui fait si doctement disserter ce sénat de pâtres sur la meilleure forme de gouvernement, et suppose que Romulus y vient débiter, comme un roi constitutionnel, des discours qu’on lui a faits pour la circonstance; mais Tite-Live lui-même n’est pas tout à fait exempt de ce défaut. Quoiqu’il ait par patriotisme le goût du passé, quoiqu’il ne néglige pas d’étudier les vieux rituels et qu’il en reproduise pieusement les formules, on peut lui faire le reproche d’avoir donné trop souvent à l’antiquité les couleurs de son temps. Ce n’est donc pas chez lui ni chez les autres historiens qu’il faut aller chercher la vieille Rome. Elle est bien plutôt dans le volume de M. Mommsen, et on en aura une idée plus juste en jetant les yeux sur les inscriptions qu’il renferme : les gens qui, trompés par l’apparente uniformité des récits de Tite-Live, se laissent aller à croire que les Romains ont toujours parlé la langue de Cicéron, seront fort surpris s’ils lisent les plus anciennes. Encore faut-il remarquer qu’elles ne remontent pas aussi loin que nous le voudrions. Du temps de Romulus et de Numa, on ne songeait pas plus à écrire sur la pierre que sur le papier, et si plus tard les pontifes ont conservé sur des planches de bois le récit sommaire des événemens de l’année, ou si les consuls ont fait graver sur des plaques d’airain les lois votées par le peuple, l’invasion des Gaulois et l’incendie de Rome ont détruit ces vieilles archives. A l’exception du texte de la chanson des frères Arvales, qu’une pierre de l’empire nous a transmis sans le comprendre, les inscriptions les plus vieilles sont du temps de la guerre des Samnites ou de celle de Pyrrhus. C’est bien quelque chose, on l’avouera, que d’avoir quelques élémens de la langue que parlaient Papirius Cursor et Curius Dentatus.

Les monumens les plus curieux de cette époque reculée sont les tombeaux des Scipions. Ils étaient déjà très célèbres dans l’antiquité; Tite-Live et Cicéron en ont parlé plusieurs fois avec attendrissement. Heureusement pour eux et pour nous qu’ils restèrent cachés pendant tout le moyen âge. Un amas de décombres protecteurs les déroba aux barbares de toute sorte et de toute époque, goths ou papes, qui ont tant détruit à Rome, les uns pour détruire, les autres pour reconstruire[1]. Le hasard les fit découvrir vers la

  1. Quand je dis que les tombeaux des Scipions ont échappé aux barbares, cela n’est pas tout à fait vrai. Il y a des barbares dans tous les temps, et lorsqu’on transporta, au siècle dernier, les plus importans de ces tombeaux au Vatican, ils furent ouverts et profanés. Les curieux se partagèrent ce qui restait des ossemens. C’est ainsi qu’un amateur vénitien parvint à se procurer le crâne de L. Scipion et à en orner son cabinet.