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philologue et le littérateur qui les étudient peuvent donc se donner le plaisir de suivre pas à pas la marche lente et progressive d’une langue et d’un peuple qui se civilisent. C’est le spectacle auquel on assiste quand on compare entre elles les inscriptions qui peuvent être rapportées à une date certaine. Quelquefois les tombeaux d’une même famille, ceux des Oppius à Préneste et des Scipions à Rome, suffisent pour nous faire mesurer presque d’année en année les progrès du langage. Nous y voyons les formes des lettres, les temps des verbes, les terminaisons des mots qui changent, la grammaire qui se constitue, l’orthographe qui s’établit, la poésie qui se règle; nous y passons de la prose au vers saturnin, du vers saturnin à l’hexamètre et à l’iambe. C’est une véritable histoire de la langue romaine, histoire animée et vivante, dont aucun traité, si savant qu’il soit, n’égalera pour nous l’intérêt.

Je ne veux pas cependant quitter l’œuvre de M. Mommsen sans faire voir encore par un exemple combien les questions en apparence les plus arides peuvent prendre de l’intérêt et de l’importance avec lui. Une bonne partie du volume est consacrée à étudier les fastes, c’est-à-dire le calendrier romain. C’est une étude qui ne semblait d’abord destinée qu’à satisfaire la curiosité de quelques érudits; il a su la rendre pleine d’enseignemens pour l’histoire. Le calendrier, dont la connaissance importait à tout le monde, était ou bien gravé sur la pierre, pour être placé dans un lieu public, ou bien copié et répandu sous la forme d’un petit volume qui se distribuait à peu près comme nos almanachs du jour de l’an. Nous en avons conservé des deux façons. En étudiant les fragmens qui restent de ceux qui avaient été gravés sur la pierre, on est frappé de voir que certaines parties sont écrites en gros caractères, et d’autres en caractères plus petits. M. Mommsen a trouvé le premier la raison de cette différence, et il en a tiré les conséquences les plus curieuses. Les fastes, selon lui, contiennent véritablement deux calendriers. La partie gravée en gros caractères, c’est ce qu’on appelait le calendrier de Numa, celui dont les patriciens gardèrent si longtemps la connaissance exclusive et dont ils se firent un puissant moyen de domination, celui que Cn. Flavius, le scribe des pontifes, finit par révéler au peuple. M. Mommsen fait remarquer avec raison qu’il n’y a pas de document qui nous fasse remonter aussi loin dans l’histoire romaine. Les dieux qui y sont mentionnés sont les plus anciens que Rome ait adorés. C’est avec Jupiter, dieu commun de toutes les races italiques, le Latin Mars, le Sabin Quirinus, Janus, Cousus, Robigo, Volturnus, etc., vieilles divinités d’une physionomie si originale, que l’invasion des dieux grecs a plus tard rejetées dans l’ombre. Les fêtes qui y sont indiquées sont