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générale que, si l’individu abdique complètement, la nation elle-même est réduite à l’impuissance. On constate aussi que la centralisation la plus savante des ressources d’un peuple a pour résultat fatal l’amoindrissement et la déchéance du citoyen, lorsque celui-ci ne coopère pas de toutes ses forces à la grande œuvre, et s’en remet tranquillement à l’état du soin de sauver la patrie. Tout cela est vrai, mais ne peut servir en aucune façon à résoudre les questions délicates de droit individuel et de prérogative sociale autour desquelles oscillent les événemens de l’histoire. Une longue pratique de la liberté dans tous les pays du monde permettra seule d’indiquer la limite toujours changeante qui sépare le domaine du citoyen de celui de l’état. Il est donc très important d’étudier à ce point de vue les mœurs politiques des sociétés dont les membres se distinguent par un grand esprit d’initiative. La république américaine surtout nous offre les exemples les plus remarquables de la liberté que conservent les individus de se coaliser et de se constituer en associations indépendantes, soit pour donner leur appui au gouvernement, soit aussi pour le détourner d’une fausse voie, ou même pour le combattre. Un seul homme se lève, il crée une agitation en faveur d’une réforme ou d’une amélioration quelconque ; si ses projets sont accueillis par un certain nombre de citoyens, ceux-ci en font leur propre cause, lui donnent des tribunes, des chaires, des journaux, et ne cessent de lutter jusqu’à ce qu’ils aient réussi dans leur œuvre, ou bien qu’un revirement de l’opinion publique ait modifié leurs vues.

Une des institutions les plus remarquables produites par le mouvement spontané du peuple américain depuis la guerre civile est la commission sanitaire qui, sans attendre l’appel du gouvernement, s’est librement fondée pour s’occuper de la santé et des intérêts matériels des soldats, de la guérison des blessés, de l’entretien des invalides. Des citoyens, des femmes, des enfans, n’ayant pour agir d’autre titre que leur patriotisme, font surveiller la conduite de l’état dans la mission qu’il se réserve d’ordinaire avec le soin le plus jaloux, celle d’organiser les forces nationales. Sans craindre d’affaiblir la discipline militaire, ils ont leurs agens civils, leurs médecins, leurs inspecteurs même au milieu de toutes les armées ; ils choisissent pour siège de leur libre institution ces camps où règne l’inflexible volonté du général envoyant ses soldats à la victoire ou à la mort. On le voit, l’œuvre de la commission sanitaire des États-Unis ne doit pas intéresser uniquement comme œuvre de charité patriotique ; elle mérite aussi d’être étudiée avec attention comme un des produits les plus curieux de l’initiative individuelle.

L’honneur d’avoir donné la première impulsion à cette œuvre